Une des premières oeuvres d’un ami personnel de Miyazaki.
Hideaki Anno est un cinéaste des inserts et des amorces. Ce n’est pas que ces deux techniques sont les seules cordes qu’il a à son arc, loin s’en faut. On verra que son esthétique déborde de personnalité. C’est qu’elles sont les éruptions les plus évidentes et les obsessions les plus récurrentes qui émanent de son désir de créer des tapisseries habitées, saisissantes, assassines, et toujours au moins un peu introspectives. Des gros plans sur des téléphones, sur des cendriers, sur des poubelles… Lui permettent d’approcher le médium animé par son extrémité la plus idiosyncratique. Il sait que la détresse et la souffrance ne sont crédibles et universellement palpables que quand elles sont ciblées et circonstanciées, donc pleines de détails. Il garde toujours un œil ouvert sur le monde réel – Il a d’ailleurs réalisé plusieurs films live : Le décapant Love & Pop en 1998, le gentillet Cutie Honey en 2004, et plus récemment, le palpitant Shin Godzilla en 2016 et le quasi-fan-film Shin Kamen Rider en 2023.
Parfois, son téléscopage de prises de vues réelles dans l’univers de l’animation est littéral : Il suffit de voir l’ouverture d’Evangelion 3.0, sorti en 2012, pour s’en rendre compte. D’autres fois, il ne s’agit que d’une inspiration et d’une méthode de cadrage, laquelle va refuser de faire des compositions trop facilement magnifiques (dans le sens publicitaire du terme) sous le simple prétexte que l’animation le permet. Le parti pris est celui de privilégier l’intéressant à l’étincelant.
Aussi, dans Gunbuster, Anno ne va pas animer un coucher de soleil. Il va animer un coucher de soleil à travers la structure métallique d’un poteau électrique, par exemple. Le résultat est sublime car il ne l’est pas. Et il est prémonitoire, peut-être involontairement : dans le pendant réel de ce futur fantasmé des années 2010, 2020 et 2030, les belles images ont bien fusionné avec toutes sortes d’équipements de technologies d’information. On voit, en effet, souvent des paysages par le prisme, le filtre de grosses antennes de télécom. Dans tous les cas, la démarche artistique d’Anno et de Gunbuster est potente, et elle est élégamment formulée par le titre d’une autre production des studios Gainax, qu’Anno a participé à fonder : This Ugly and Beautiful World.
Gunbuster aura une suite 16 ans plus tard : Diebuster.
Gunbuster, grosso modo, raconte l’histoire de la famille Takaya et de l’espèce insectoïde extra-terrestre qu’elle affronte dans un monde où l’être humain a dompté le voyage spatial. Cela commence en 2015, donc, par la mort du père, l’Amiral Yuzo, lors du premier contact avec ces aliens. Plus tard, en 2021, la fille, Noriko, encore au lycée, est enrôlée dans un programme qui propose de se mesurer à ces monstres venus d’autres galaxies à l’aide de robots géants, puis, d’un seul robot, géant comparé à ces robots géants (c’est cet exosquelette qu’on appelle « l’arme ultime », soit le Gunbuster). Enfin, en 2033, Noriko (toujours adolescente, relativité oblige – Interstellar n’ayant rien inventé), vient de rentrer de mission. Dépassée par ses rencontres avec la vie adulte de ses vieux camarades de classe, elle n’a que peu de temps pour se réadapter avant de découvrir que la menace qui pèse sur la planète n’a pas été éradiquée. L’intemporalité des personnages principaux (Noriko, mais aussi son binôme, Kazumi Amano, au départ autrement plus accomplie que la première) est un trait intéressant. Elle l’est d’autant plus qu’elle apparaît subitement, alors qu’on peut s’imaginer de ces jeunes astronautes du futur qu’elles pouvaient l’anticiper et en parler. Le corps adolescent lié à un âge adulte est une thématique qui intéresse Anno : Le développement du personnage de Shinji Ikari avait lui aussi été interrompu entre les films Evangelion 2.0 et Evangelion 3.0, après un passage long de 14 ans dans des limbes. Que faire de ces silhouettes ni enfants, ni adultes, farcies de fébrilité émotionnelle et éternellement pubères ? À la sortie d’Evangelion 3.0, des fans avaient suggéré qu’il s’agissait peut-être d’un commentaire sur l’immortalité de la franchise, de son éphébité constamment rebootée. Ici, dans un cadre qui prédate tout grand succès populaire de Gainax, on peut imaginer que c’est plus simplement qu’Anno se reconnaît dans ce corps qui refuse de grandir.
L’artiste est l’adolescent sans cesse reconduit dans ses fonctions. Sa pétulance est entretenue par la nécessité pour lui d’être cru, et authentique, et vulnérable. Le fan aussi est l’adolescent éternel : la dysfonction qui vient avec sa passion, un temps asymptomatique (consulter les premiers courts-métrages enthousiastes d’Anno : Daicon III, Daicon IV), ouvrira des passerelles vers l’instabilité, puis la dépression. On en veut pour preuve les personnages extrêmement meurtris et toujours chauffés à blanc dans les œuvres d’Anno, à mettre en lien avec sa propre santé mentale, renommée pour être branlante. Dans Gunbuster, le désarroi de Noriko est moins affreusement bilieux. Mais ses pleurs sont fréquents : Anno sait très bien mettre en scène des scènes lacrymales où les yeux ne sont pas seulement mouillés. Ils tremblent, ils vibrent, ils menacent de faire s’écrouler Noriko sous le poids de ses propres malheurs. Etc, etc.
Un test pour Gurren Lagann, mais surtout pour Pacific Rim !
Moulée dans une double-jaquette réversible et assortie de son poster et de son artbook, cette édition de Gunbuster chez All The Anime nous invite à nous réintéresser à une série sympathique, mais, hélas, trop souvent trop intéressante pour les auteuristes d’Hideaki Anno et des studios Gainax, au détriment des néophytes. Gunbuster, trop courte, trop expédiée, a beaucoup de qualités, dont une que j’apprécie beaucoup : elle nous montre l’espace sans trop de sentimentalisme. Malheureusement, d’un désamour pour les discours déjà vus sur les étoiles, on passe à ce qui s’apparente à de l’indifférence. Un personnage sera introduit avec un character design veineux. Et il disparaitra de suite après. Un personnage deviendra ami (petit-ami si on se fie à l’importance que le scénario et les dialogues tenteront de lui donner) avec Noriko. Et il mourra de suite après.
Hideaki Anno, apprenti sorcier, otaku no video, afficionado trop amoureux ou trop procédurier, tente peut-être de faire de la rétro-ingénierie de séries qui durent 24 épisodes dans la sienne, qui en compte six. Cela ne fonctionne pas ! Reste à Gunbuster (Et c’est bien normal, c’est la marque Gainax) sa direction artistique éloquente et originale. Des quotidiens métro-boulot-dodo reproduits et exportés au fin fond de l’univers sur la station internationale Exelion (l’ambiance est comme celle d’un aéroport : c’est séparé de tout mais c’est autonome et ça ressemble un peu à une ville-centre commercial), à la démesure lugubre et organique des monstres insectoïdes (le premier qu’on voit à l’écran est un cadavre abimé), tout tend à rester en tête. On se dit, en voyant ces images, que les artistes impliqués gagneraient à peaufiner cette facilité de construction d’univers visuels, et à rattraper leur retard en trucs et astuces narratifs. Quel bonheur de savoir, en 2023, qu’ils l’ont fait.