Gran Torino

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Clint Eastwood est un cas à part dans le cinéma US d´aujourd´hui. Il flaire, sommeille et se réveille toujours en sursaut. Avec « Gran Torino », il (re)visite ses fantômes et les sacrifie définitivement.

Desproges le clame haut et fort : « un raciste, c’est une personne qui se trompe de colère ». L’écrivain de génie ne connaissait le réalisateur/acteur fantasque qu’à travers les quelques films qu’il avait pu voir. Garder en mémoire un flic raciste, autoritaire et implacable ne pouvait qu’alourdir la pensée qu’il aurait pu avoir de ce « westernien » de légende. Eastwood est devenu au fil des ans une référence, un sage, un mec à qui on refusera de chercher des poux. Voir un film de Clint, c’est renouer avec le passé, celui des grands conteurs (Ford, Hawks, Siegel), avec une Amérique qui se mérite, avec un esprit ambigu… un peu droitier.

Les derniers films de Clint sont majestueux mais dénués de « beauté », au sens absolu du terme. Eastwood refuse dorénavant de sombrer dans le manichéisme, de heurter le petit bourgeois et surtout de poser sa haine révolue. Il se pose dans un coin, tout près d’un étang et pêche son poisson comme si de rien n’était. Souvent, il flaire un truc gigantesque et le ramène à la dérive. Sans le flinguer, juste le voir, le caresser et se rapprocher légèrement de Dame Nature. Puis il le jettera dans l’eau et repartira comme il était venu, sans dire un mot ! De Impitoyable à L’Echange, en passant par Mystic River et Million Dollar Baby, Eastwood ne fait que proposer des contes savoureux où l’humain ne serait plus réduit en miettes, mais repêché. Et c’est là que le bât peut blesser !

En rejetant l’idée de vouloir expliquer ce qu’il filme, Eastwood tend à plonger le spectateur dans une ambiguïté formelle. Eastwood ne valorise plus (L’inspecteur Harry par exemple), ne délibère plus (L’Epreuve de force), il observe ce microcosme en ne gardant qu’une idée en tête, celle de l’apaisement. Ses personnages se trouvent souvent en haut d’une pyramide humaine où n’importe quelle anomalie pourrait faire chuter la redondance du style. Butch Haynes (Un monde parfait), John Williams (Minuit dans le jardin du bien et du mal), Jimmy Markum (Mystic river)  – pour ne citer qu’eux – sont les proies d’un monde qui refuse de leur céder des droits inaliénables, qui leur permettraient de vivre, tout simplement. En cela, Eastwood caresse la frange renoirienne qui visait à donner du temps à tous les protagonistes d’une histoire. D’où cette grande sagesse dans la mise en scène, et cet air qui donne à sa filmographie une sorte de mélodie assez jazzy, reposant sur des déconstructions narratives.

 
        

Le classicisme tant « décrié » ne se trouve pas forcément dans la « lenteur » des mouvements de caméra, dans la fixité du cadre et dans les va-et-viens calmes des personnages. Ce classicisme résulte d’une méthode quasi indescriptible, qui vise à ne pas « montrer » les facilités d’un scénario. Dans Gran Torino, Eastwood campe un personnage qui serait le frère jumeau de Harry Callahan. Ex-militaire, ex-ouvrier, veuf et raciste conséquent, ce Walt Kowalski est de l’eau bénite pour un cinéaste qui fut souvent taxé d’être un fasciste. La partie reste donc joliment intéressante, car le cinéaste préfère renouer avec une aura qui l’a vu grandir. Eastwood se place politiquement à droite, tout comme Ford, Wyler, Hawks, comme tous ces cinéastes qui filmèrent une Amérique complexe, leur « propre Naissance de Nation » (dixit Serge Daney).

Il serait incongru, aujourd’hui, de dénicher une quelconque étrangeté dans leur volonté de crier à qui veut bien l’entendre que « la terre appartient à ceux qui la cultivent ». Au fil des décennies, Eastwood a régulièrement pris du recul avec les mouvements de sa société, préférant le refus du communautarisme et le rejet de la négation. Lorsqu’il filme des gays dans Minuit dans le jardin du bien et du mal, il n’est pas dans une attitude de dénigrement, mais de compréhension. Eastwood déteste les racistes, mais ne permettra pas que l’on juge ceux qui le sont, car personne ne "nait raciste". Ses films sont là pour le démontrer : le débat doit s’imposer et l’écoute se veut reflet d’un désir de vaincre. Et c’est sans doute dans cette absence de révolte que le bât blesse. Le racisme ne provient pas uniquement d’une insulte en direct, mais aussi d’une attitude. Dans L’Année du dragon (Michael Cimino, 1985), le flic incarné par Mickey Rourke est jugé raciste car il n’accepte pas que l’étranger « puisse jouir à sa place » (dixit encore Daney). Dans Gran Torino, Kowalski n’accepte pas que ses voisins étrangers soient soudés, soient bien « intégrés », et surtout qu’ils soient tolérants. Eastwood a- t-il un jour ressenti cela ? On s’en fiche, mais il est certain qu’il vécut cette configuration dans son entourage.

 
     

Gran Torino amorce une véritable « finalité » dans la filmographie du maitre. Renouant avec un personnage de brute, intolérant, Eastwood flirte avec la caricature et se permet quelques facilités et autres références qui peuvent faire sourire. Ce n’est pas la meilleur partie du film, et c’en est d’autant plus regrettable que l’on sent une certaine envie d’enterrer cette hache de guerre avec ses propres fantômes, quitte à dénaturer ce qui lui fut bénéfique. Une finalité ? Car cette fois-ci la tournure des évènements prend une autre voie, quelque chose d’assez inhabituel, et qui malmène plusieurs interrogations. Le Tocsin sonne évidemment dans chacune des séquences du film, et l’envie de découdre avec les imbéciles devient de plus en plus factuelle. A l’aube de 2010, Eastwood refuse ostensiblement de jouer les caïds sans peur ni reproche. Sans pour autant dévoiler l’intrigue finale, nous sommes en droit d’écrire : Harry, c’est fini !

Titre original : Gran Torino

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