Frissons à domicile : le film de maison hantée

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« Insidious » de James Wan renouvelle brillamment l’un des sous-genres les plus ressassés du cinéma fantastique : le film de maison hantée. Un univers où le paranormal est toujours à notre porte…

James Wan ne s’en cache pas : le réalisateur d’origine australienne s’est souvenu pour son Insidious des films fantastiques qui le terrifiaient durant son enfance. Son quatrième long-métrage s’est construit autant comme un renouveau qu’un hommage au genre du film de maison hantée, parsemé de classiques moins connus que l’on pourrait le croire.

S’il est devenu un genre fictionnel très couru depuis le XIXe siècle, le récit de maison hantée, popularisé par le roman gothique anglo-saxon et l’attrait naissant de la population pour le spiritisme et le paranormal, a toujours reposé sur l’acceptation plus ou moins assumée de l’existence d’un au-delà. Celui-ci est rarement associé à l’imagerie religieuse : les fantômes qui peuplent les classiques littéraires de cette époque (Le Tour d’écrou, d’Henry James, La chute de la maison Usher d’Edgar Poe, ainsi que La Maison Hantée de Dickens) permettent plutôt d’aborder en filigrane des thèmes romantiques comme l’amour éternel, la rédemption, ou au contraire la damnation et le poids du destin. Ce sont, de fait, plus les vivants que les revenants qui sont au cœur de l’histoire. Le fantôme est, au même titre que la figure du vampire, un moyen de faire basculer le récit dans une dimension fantastique où tout est possible, mais il questionne malgré tout notre propension à croire dans une vie après la mort. Question à laquelle chacun réagit à sa manière (le dédain, la peur, la fascination).

Des rires… ectoplasmiques

Sur grand écran, les ectoplasmes sont dans un premier temps surtout associés au genre comique : l’excellent Fantômes à vendre, de René Clair, et des pochades comme Fantômes en vadrouille ou Deux nigauds dans le manoir hanté, insistent avant tout sur le caractère burlesque des apparitions spectrales. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, le gentil fantôme Casper existe déjà dans les dessins animés pour enfants. En bref, l’heure est plutôt encore au « bouh, fais-moi peur ! » inoffensif.

Il faudra le talent d’un Joseph Manckiewicz pour utiliser à bon escient ce ressort narratif : L’aventure de Madame Muir exalte la romance impossible entre Gene Tierney et Rex Harrison, et donne ses premières lettres de noblesse au genre. Quinze ans plus tard, la romancière Shirley Jackson signe sans aucun doute le roman gothique américain (un genre en soi) le plus définitif sur le sujet. Maison Hantée est le chef d’œuvre littéraire d’un écrivain trop tôt disparu, qui utilise tous les mécanismes, ambiances et thèmes qui vont devenir l’apanage du genre dans les décennies à venir. L’adaptation cinématographique de Robert Wise, en 1963, se montre à la hauteur de son modèle : le livre autant que le film sont de grands moments d’angoisse sourde, indéfinissable, où les esprits qui hantent Hill House sont loin d’être de gentils draps volants.

 La Maison du diable de Robert Wise


It was an evil house from the beginning – a house that was born bad

Une demeure gothique, des manifestations surnaturelles étranges, un crescendo dans la peur qui ne pourra être résolu qu’avec la découverte d’un passé enfoui… Le schéma est là, quasi-immuable, prêt à être réutilisé par des artisans plus ou moins inspirés. Plus atmosphérique que le film de Wise, Les Innocents de Jack Clayton est un autre classique des sixties, rare, obsédant et modèle d’un genre où l’art de la suggestion et la force suggestive du montage sont prépondérants.

Les années 70 et 80, auxquelles se réfère en priorité James Wan, se révèleront être les plus productives sur le sujet. S’ils n’appartiennent pas au genre, les films jalons que sont Psychose, Rosemary’s Baby et L’exorciste imprègnent l’esprit du spectateur de l’image de la maison maudite, iconisée à outrance par des plans larges en contre-jour, plongée ou en lumière tamisée (celles-ci figureront d’ailleurs souvent sur les affiches des films). Si certaines productions, comme La Maison des Damnés, tentent de reproduire la réussite de leurs aînés, la plupart des productions anglo-saxonnes se frottant à cet exercice parviennent avec succès à déplacer le récit dans un environnement urbain bien plus angoissant. La sentinelle des maudits, de Michael Winner, se déroule ainsi de nos jours à New York, dans un vieil immeuble peuplé d’étranges personnages, tandis que le méconnu Trauma, avec Oliver Reed, place son action dans une vieille demeure de la campagne californienne.

Shining de Stanley Kubrick

« Redrum, redrum, redrum »

C’est au tournant des années 80 que le film de maison hantée va connaître véritablement son heure de gloire. En adaptant à sa manière toute personnelle le roman de Stephen King, grand admirateur lui-même de Shirley Jackson, Stanley Kubrick signe avec Shining un film d’horreur qui ne va pas tarder à devenir culte : troquant le manoir pour l’hôtel enneigé Overlook, Kubrick redynamise grâce une caméra (steadycamée) oppressante et omnisciente les concepts d’apparitions fantomatiques, et rend palpable la sensation de folie qui peut s’emparer de personnages confrontées à l’irrationnel, et peut-être aussi à la possession pure et simple.

Bien que prestigieux, Shining remportera moins de succès cette année-là que l’Amityville de Stuart Rosenberg, LA référence absolue du film de maison hantée moderne, malgré ses qualités plus que discutables. Le film, premier épisode de ce qui va devenir une franchise où chaque séquelle rivalisera de médiocrité avec la précédente (le deuxième opus reste sans doute le plus réussi), baigne dans un catholicisme conservateur assez opportuniste, surfant avec quelques années de retard sur le succès de L’exorciste (remplacez la maison hantée par un démon, et vous obtenez la même histoire, prêtre inclus). Rosenberg échoue à faire frémir véritablement le spectateur, mais l’œuvre marque sans conteste les esprits, de par l’architecture marquante de sa villa vedette, et surtout par l’exploitation avant tout commerciale de ce qui est au départ un fait divers sanglant (la dite « affaire d’Amityville »), qui avait déjà inspiré un roman à sensations. Le titre rentrera dans le langage courant pour désigner les futures œuvres du même style.

Les années 80, du premier au second degré

De cinéma, il en est un peu plus question avec le Poltergeist de Tobe Hooper, produit par Steven Spielberg. Œuvre bicéphale et matrice narrative d’Insidious, Poltergeist trouve un équilibre remarquable entre une exploitation au premier degré de ses apparitions menaçantes (les dits « poltergeist ») et une ambiance visuelle et narrative propre au papa d’Indiana Jones et à sa société de production Amblin. Comme Joe Dante, Hooper prend ainsi le meilleur du cinéma de Spielberg (exaltation de l’enfance, approche du surnaturel comme un événement tout aussi merveilleux qu’excitant, importance de la cellule familiale, et évocation visuelle d’une certaine Amérique rappelant le peintre Edward Hopper), tout en conservant les constantes de son style : macabre, excessif et volontiers subversif. Le succès relatif du film appelle deux suites, autour desquelles se constituera là aussi une mythologie sensationnaliste, due au décès, à 13 ans, de son actrice principale, Heather O’Rourke.

Troisième franchise à voir le jour pendant les années 80, House de Steve Miner mélange lui l’épouvante classique à un humour réflexif, un second degré typique de cette période se moquant déjà des codes établis (Vampire, vous avez dit vampire ?, maltraite lui aussi dans le même temps le mythe du suceur de sang). Plus populaires, SOS Fantômes et Beetlejuice enterrent pour une longue période l’espoir de voir le fantôme revenir nous effrayer pour de bon.

Les Autres d’Alejandro Aménabar

Fantômes ibériques

C’est d’Espagne que vient une nouvelle vague au début des années 2000 : Les Autres, d’Aménabar (tourné en anglais, mais en Espagne), Darkness, de Balaguero, L’échine du diable, de Guillermo del Toro, ainsi que L’Orphelinat, de Juan Antonio Bayona, sont autant de réussites originales et novatrices qui, même si elles n’oublient pas leurs aînés (Aménabar cite abondamment Les Innocents), sont irriguées d’images, de thèmes et d’ampleur narrative encore jamais vus dans le genre. Elles ont en commun de prendre à chaque fois pour héros des enfants (et aussi, souvent, une figure maternelle) désarmés face à une menace insidieuse (sic) qui ne les épargne jamais.

Ce retour à une imagerie sérieuse, quasi clinique, du mythe de la demeure hantée n’est pas isolé. Le carton cosmique, en 2009, du phénomène de foire Paranormal Activity a sans doute relancé pour longtemps le genre dans les salles de cinéma. Reprenant à son compte un gadget plus irritant qu’excitant (le film de caméscope tourné, ou presque, à la première personne), le film d’Oren Peli prouve plus par l’absurde la toute-puissance du marketing viral qu’il ne révèle de vraies qualités de cinéma. C’est d’ailleurs son réalisateur qui a mis des sous dans la production d’Insidious – vous ne pouvez pas le rater, c’est écrit en gros sur l’affiche ! Mais, bien qu’ils partagent forcément quelques similarités (on y parle de maison hantée, de phénomènes surnaturels, de possession et de nuits agitées), Wan et Peli n’ont sans doute pas les mêmes objectifs.

Insidious, plaisir de cinéphile retrouvant la grâce opératique des classiques de Hopper et Wise, tout en adaptant pour un public blasé les recettes de l’horreur qui fait peur (une ambition oubliée de nos jours), fait logiquement plus plaisir à voir que la bouillie de pixels minimaliste de Peli, symbole, pour le meilleur et pour le pire, d’une esthétique Youtube tendant à se généraliser. Mais ceci est un autre débat…


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