La mort du prince
On avait découvert João Pedro Rodrigues en France avec son film intriguant, sexy et provocateur, O Fantasma. On le retrouve cette année en compétition à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes après bien des films, dont L’Ornithologue en 2016 qui racontait un peu sa passion des oiseaux léguée par son père. Comme s’il avait pris à la lettre la folie des pompiers de Titane de Julia Ducournau, triste Palme d’or à Cannes en 2021, et leur réputation sulfureuse et brûlante, il nous livre ici une courte fantaisie sexuelle et poétique à sa manière sur un jeune prince dont le rêve inavouable est de devenir pompier de sa majesté. Bien sûr, ce film n’a rien à voir avec le précédent Feu follet de Louis Malle sorti en 1963 et n’est en rien un remake. C’est un film très court, d’un tout peu plus d’une heure, et c’est à souligner en ces temps de films trop longs. Il est construit comme un conte avec prince et châteaux, en forme de flash-back. Alfredo, un roi sans couronne sur son lit de mort, est ramené à de lointains souvenirs de jeunesse et se rappelle de l’époque où il rêvait de devenir pompier. La rencontre avec l’instructeur Afonso, du corps des pompiers, ouvre un nouveau chapitre dans la vie des deux jeunes hommes plongés dans l’amour et le désir, et à la volonté de changer le monde.
Un film mystérieux
Sur son lit de mort, encadré de murs nus, d’une toile qui va être vendue pour payer les obsèques, et d’un gamin qui joue à son tour avec un camion de pompier, Alfredo ne regrette rien mais revoit sa vie et ses amours. Mais pourquoi ce titre énigmatique en fait ? Même le réalisateur ne sait y répondre : « C’est pour moi un titre assez mystérieux, déclare-t-il dans le dossier de presse du film. Cela a un rapport très fort au fantastique, mais également à quelque chose d’éphémère. Cela ne raconte rien du film et en même temps il dit un peu tout ! J’aime l’idée que le feu follet, c’est quelque chose à la fois fantomatique et physique, car c’est un phénomène réel, chimique, qui faisait peur autrefois quand les gens ne savaient pas ce que c’était. Donc ce titre symbolise ce rapport très fort au fantastique et à la réalité en même temps, qui innerve tout le film. »
Cet obscur objet du désir
Nous sommes un peu comme lui, assez perplexe devant ce film ovni qui ne dit rien sur la politique du Portugal, sur la violence des années Salazar ni même sur le pouvoir royal. Tout tourne autour de l’histoire d’amour du jeune prince avec son instructeur Afonso, jeune et beau Noir qui va devenir à la fin du film le président de la nouvelle République, attestant la fin de la royauté et du pouvoir individuel. Bien sûr, comme pour la plupart des films de ce réalisateur portugais, l’ambiance du film est assez sexuelle, très branchée sur l’érotisme gay qui transparaît dans les reconstitutions des tableaux célèbres du Caravage, de Rubens et de Velázquez, par l’intermédiaire de beaux jeunes pompiers complètement dénudés, seule concession à l’esthétique et à l’art dans ce film qui, pour une fois, se donne comme une comédie débridée. Mais c’est aussi un film profond qui entend questionner le spectateur, d’où parfois les regards caméra des acteurs. « J’aime beaucoup une peinture de Titien où figurent les trois âges de la vie (Allégorie du Temps gouverné par la Prudence, vers 1565). Mon film a cette ambition effectivement de raconter l’histoire d’une personne dans la durée assez courte finalement d’un film. Il fallait choisir les moments exacts à raconter, dont la mort. Je crois que mes films parlent toujours de la façon dont on surpasse la mort. C’est quelque chose qui m’obsède : comment se prépare-t-on à mourir. Le cinéma par son immortalité, est une façon de surmonter la mort pour moi qui ne crois pas à l’au-delà. » Cocteau l’avait déjà observé : le cinéma, c’est bien en effet la mort au travail…