Et après est donc une drôle de surprise, à la fois inquiétante (car très éloignée de toute revendication d’origine, par ses visées internationales), et fascinante, car Gilles Bourdos est un réalisateur qui a le sens de l’esthétique et la trempe d’un auteur, utilisant le cinéma vers une recherche plastique plus profonde.
La première impression est décevante et laisse un sentiment profond de gâchis, même si l’ensemble est assez cohérent. Fidèle à ses compagnons de route qui l’accompagnent depuis ses débuts, son scénariste Michel Spinoza et son directeur photo Mark Ping Bing Lee (chef op’, entre autres, des principaux films de Hou Hsio Hsien), Et après nous conte l’histoire d’un avocat d’affaires New-Yorkais, Nathan, joué par Romain Duris, séparé de sa femme et de sa petite fille, qui suite à l’irruption d’un directeur de clinique mystérieux, le docteur Kay, incarné par John Malkovich, va se voir révéler la prétendue évidence de sa mortalité ainsi que celle de ses proches ; un parcours aux frontières du fantastique semé d’embûches censées le renvoyer sur les chemins de sa propre existence et sur le pourquoi de son retour à la vie quand, enfant, il a survécu à la mort.
L’argument étant posé, on retrouve ici l’un des thèmes centraux des films de Gilles Bourdos : l’existentialisme. Ici dopé au récit, chose à laquelle, lui et son scénariste, ne nous avaient pas habitués jusque-là. Peut-être est ce dû au périlleux exercice de l’adaptation, qui cherche souvent à garder l’essence du livre tout en essayant de ne pas dénaturer l’oeuvre – espace fait de compromission et de restriction, mais ici le récit se fait omniprésent, voire omnipotent. On peut parler ici aussi bien de récit littéraire que de récit cinématographique, tant le montage ne facilite pas la distanciation par rapport au roman. Forcément trop agencé, il emprunte sa structure à celle de la "littérature moderne", une construction non linéaire faite de rappels (parfois un peu trop), de flash-backs (vraiment regrettables, à la limite de la mièvrerie), et de rebondissements respectant les principes de lecture.
Pourtant, le récit est parsemé de fulgurants interstices, où la mort est omniprésente et rappelle sans cesse les obsédantes pensées du personnage principal et l’extrême concomitance entre vie et mort. C’est dans ces entrelacs que le film trouve ses plus grandes forces.
Plasticien, Bourdos pense avant tout le cinéma en images, et s’empare des décors pour les incarner, les habiter, glissant sur les surfaces traçant des lignes tels des horizons, jouant sur les matières. En corrélation avec Mark Ping, il nous ouvre de nouvelles perspectives de dualités, en confrontant l’environnement naturel à la matière filmique. De cette alchimie, il syncrétise parfois bien mieux en quelques plans les enjeux de son film que par de longs dialogues. Ainsi de la séquence d’ouverture et de celle de ses retrouvailles en famille dans le désert, autour de la "reine de nuit", plante rarissime qui ne fleurit qu’une fois dans l’année pour mourir une heure plus tard, nous font basculer dans cet entre-deux infime qui sépare la vie de la mort.
Cette dualité, on la retrouve bien évidemment dans la relation autour du don de voyance qui lie Nathan au Dr Kay. Là où le premier refuse d’accepter sa mort comme fatalité, et se bat pour reprendre le contrôle sur celle-ci, le second ne tente pas de la contrecarrer, car elle atteindra toujours son but, mais entrevoit plutôt un moyen de pouvoir aider ceux qui vont quitter cette terre en les réconciliant avec la vie. Le jeu de Malkovich reste cependant bien en dessous de ses performances habituelles. Un peu engoncé dans son corps, étriqué dans ses actions, il forme un bloc lourd et entache l’ambiguïté de la filiation, qui se retrouve ainsi amputée de l’un de ses membres. L’impact de la résolution finale qui sous-tend le ressort dramatique s’en trouve ainsi affecté.
De condamné, Romain Duris devient ainsi vivant conscient de la mort. Le transfuge entre vie et mort, leitmotiv récurrent dans la construction aussi bien esthétique que narrative, s’opère dans une fonte lente assez monocorde/chrome, les vagues réminiscences "presneriennes" d’Alexandre Desplat n’y pourront rien changer. On attend un sursaut qui ne surviendra malheureusement pas, la matière filmique restant ici trop souvent soumise au récit et aux circonvolutions du thème principal.
Cependant, la recherche existentielle et plastique reste bien présente au coeur du projet de cinéma élaboré par Gilles Bourdos. Même si l’ambiguïté esthétique semble moins prégnante dans ce nouveau film – du blanc naissait la plus profonde des noirceurs, elle gagne ici en sérénité ce qu’elle a perdu en rage. De souterraine , elle devient lumineuse, empruntant au passage à ses confrères français quelques gimmicks plus ou moins bienvenus dans sa quête de lumière (Les revenants de Campillo). Ainsi, si le film constitue une étape vers un assagissement, voire un retour dans les rangs bien ordonnés du cinéma français, hypothèses que seules ses prochaines réalisations nous permettront d’affirmer ou, espérons-le d’infirmer, son titre nous permet au moins de nous demander ce qui viendra après.