Elefante Blanco

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Évocation réaliste des bidonvilles de Buenos Aires, le film de Pablo Trapero bute sur les enjeux individuels.

Ça commence dans la jungle sud-américaine, de nuit, lors d’une scène d’une intensité confondante : un prêtre, Nicolas (Jérémie Rénier), se cache, haletant, derrière les feuillages, tandis que des forces paramilitaires asssassinent un à un les habitants d’un village dans lequel il menait un projet humanitaire. L’instant d’après, le hameau n’est plus que cendres ; la rivière qui le borde n’a rien pu éteindre des flammes qui l’ont décimé. Un peu plus tard, on retrouve Nicolas en banlieue de Buenos Aires – à son chevet, un autre prêtre, Julian, ami argentin de longue date qu’il a rejoint pour aider la population du bidonville de la Vierge. Profondément choqué par son expérience précédente, Nicolas espère dans la capitale une mission plus sereine. Une jeune assistante sociale tente de faire reprendre les travaux de l’Elefante Blanco, un immense projet d’hôpital laissé à l’abandon depuis que les ouvriers ne sont plus payés par la municipalité ; ils se lient très vite d’amitié – puis un peu plus. Les tensions s’accumulent, les cartels s’affrontent, et le ministère ordonne bientôt l’arrêt total du chantier. Il n’en fallait pas moins pour que le bidonville se soulève.

Présenté en sélection Un certain regard au dernier Festival de Cannes, Elefante Blanco est, à l’instar des précédents films de Pablo Trapero, fait d’un matériau très politique, très sociologique. Leonera (2008) soulevait la question de la maternité en prison, Carancho (2011) s’intéressait à la corruption et aux arnaques à l’assurance ; tous deux partageaient une vigueur certaine alliée à une maestria formelle, et reflétaient le souci d’engagement de Trapero, cinéaste assuré de la nécessité d’évoquer les faits de société de son pays. Elefante Blanco n’échappe pas à la règle, et suit en ce sens la même ligne : l’heure est à la réflexion, le divertissement sera marginal. C’est la force principale du film de Trapero, qui s’immerge entièrement dans son sujet et donne l’impression d’une caméra embarquée : du quasi cinéma-reportage en fait, où la volonté de réalisme prend toujours le pas sur la fiction. Nous sommes en plein dedans, et Trapero, aidé par la photo admirable de son chef-opérateur Guillermo Nieto, n’exclut rien des trafics, des difficultés quotidiennes, de l’organisation parallèle qui règne dans ces quartiers d’exclusion, où la misère est partout et qui souffrent du clivage entre ses populations internes.
 
 

 
 
C’est quand il interroge le parcours individuel de ses personnages que le film cale. Si la désagrégation de la foi est bien abordée, elle ne va pas beaucoup plus loin qu’une opposition grandissante entre Nicolas et Julian : tandis que ce dernier continue à vouloir changer les choses via la religion, le premier voit ses convictions vaciller, préfère faire la différence loin de toute théologie, au contact des habitants du bidonville avec lesquels il lie des liens plus concrets. Il finit par coucher avec Luciana, brisant ainsi son vœu de chasteté sans que l’évènement ne prête le flanc à un quelconque questionnement intérieur. Le personnage de Luciana, l’assistante sociale, est du coup plus parlant, illustration crédible d’une jeune femme militante qui se bat, presque physiquement, avant de craquer quand elle intègre à quel point les évolutions sont lentes et décourageantes. Nicolas et Julian, eux, restent paradoxalement périphériques, alors même que la figure du prêtre étranger était d’abord passionnante, dans la mesure où elle confronte, un temps au moins, ce qu’on voit à un regard extérieur. L’Argentine lui est aussi peu familière qu’à nous, spectateur.

Elefante Blanco est dédié au père Carlos Mugica, prêtre argentin jésuite proche du Mouvement des prêtres pour le Tiers Monde, qui travaillait lui aussi dans un bidonville de Buenos Aires, la Villa 31, et fut assassiné en mai 1974, supposément par un escadron de la mort qui aurait été piloté par un ministre du gouvernement Perón. Mais les points de vue s’affrontent (pures thérories puisqu’aucun procès n’a eu lieu à ce jour), et certains dénoncent les Monteneros, autre mouvement péroniste de gauche. C’est à la lumière de l’histoire de l’Argentine des années 1970 qu’il faut véritablement voir le film de Pablo Trapero, œuvre de dénonciation autant que de monstration. Les derniers mots du père Mugica auraient été : « Maintenant plus que jamais, il faut être avec le peuple » ! Ils ont assurément une résonance chez le réalisateur : Elefanto Blanco, s’il souffre parfois d’un didactisme de bon aloi, vibre aux côtés de ses personnages, ce même peuple que la caméra n’abandonne jamais.

Titre original : Elefante Blanco

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Durée : 105 mn


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