Elliot n’a pas d’amis. Il passe son temps à traîner avec ceux de son grand frère et bien sûr, au milieu d’eux, personne ne le voit. On ne joue pas avec lui, on ne l’écoute pas et pour exister un peu Elliot rend de petits services – le larbin de la bande en somme. Pour qu’on baisse enfin les yeux sur lui il doit trouver une histoire incroyable à raconter. Il faut qu’elle sorte de l’ordinaire pour que les grands autour de lui l’écoutent mais qu’elle soit assez plausible pour qu’ils y croient, même juste un peu. Comme un coup de pouce du destin Elliot habite Culver City, là où étaient installés les studios de la MGM ; là où se trouvait le siège de la compagnie aérienne d’Howard Hugues. L’histoire va alors venir naturellement à lui : une nuit, un extra-terrestre trouve refuge dans la cabane de jardinage de sa mère et devient son ami. Les grands ont cessé de parler et écoutent Elliot. L’histoire a l’air vraie.
Quand Elliot s’ennuie à l’école, E.T., seul à la maison, zappe devant la télévision et s’instruit également – il y apprend à parler. De façon inexplicable chacun des deux est rattaché à l’autre et quand l’extra-terrestre se descend quelques bières, c’est l’enfant qui se retrouve ivre à son pupitre. Pourtant, cela ne suffit pas à charmer sa voisine de classe, une grande blonde à qui il ne cesse de jeter des regards charmeurs et imbibés. S’il a vaincu sa timidité, la belle continue de le snober. Comme depuis le début de son film, Steven Spielberg va aider l’enfant à se libérer et à trouver une place au milieu des autres. Encore une fois, l’histoire va venir à lui quand E.T. tombe à la télévision sur L’Homme tranquille (1952) de John Ford. John Wayne attrape la main de Maureen O’Hara alors qu’elle allait sortir du cadre, la ramène vers lui et Elliot fait de même avec sa grande blonde. Un sourire apparaît enfin sur le visage de la fille, mais on devine qu’il s’agit plus de celui de la jeune actrice gênée que de celui du personnage. Car la suite elle la connaît : alors que John embrasse Maureen, Elliot s’approche de ses lèvres à elle. À travers les yeux d’E.T., à travers les yeux de sa créature, de son histoire, Elliot a gagné : il vit.
Dans ce cas, le cinéma est-il plus fort que tout ? L’enfant d’E.T. l’extra-terrestre répondrait oui. Elliot vit grâce à l’histoire qu’on lui a permis d’inventer, grandit et oublie très vite grâce à elle tout ce qui pourrait le faire souffrir – où est son père ? Le film le plus personnel de Steven Spielberg est donc forcément le plus cinéphilique. Pourtant, cette puissance que le réalisateur octroie ici au cinéma posera bien d’autres problèmes dans la suite de sa carrière quand justement ce cinéma n’aura pas la force de faire plier vers lui le réel. Qu’est-ce que peut offrir Steven Spielberg à la jeune fille perdue au milieu de la foule de La Liste de Schindler (1993) ? Dans le noir et blanc de la reconstitution, le fait qu’il ait colorié son manteau en rouge lui a-t-il était d’une quelconque aide ? Le cinéma permet à Elliot de grandir dans E.T. l’extra-terrestre et au sein des studios Amblin on regarde l’Orphée (1949) de Jean Cocteau chez les Gremlins (1984 et 1990) alors que les toons de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (Robert Zemeckis, 1988) sauvent le monde. Dans l’univers de Steven Spielberg, qu’il soit réalisateur ou producteur, le cinéma est partout mais sa puissance s’arrête aux portes de l’enfance. La promesse qu’il nous fait d’un imaginaire pouvant changer le monde ne peut les franchir. Néanmoins, il est toujours possible, cinéphile ou non, d’être attrapé avec passion par l’un de ses films comme on peut l’être par E.T. l’extra-terrestre. Une seule solution s’offre alors à nous : accepter la régression.