DVD « Hitler, un film d’Allemagne »

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« Je suis la mauvaise conscience de la démocratie. » À la folie humaine, le réalisateur Hans-Jürgen Syberberg répond par la folie faite film.

Figurer l’immontrable, là où la représentation et la fiction en semblent impuissantes. Ne pas montrer l’horreur, chose souvent vaine, ne pas seulement l’évoquer, mais chercher à l’incarner par le cinéma. La période nazie reste sans doute la grande aporie du XXe siècle. De Nuit et brouillard (Alain Resnais, 1955) à Shoah (Claude Lanzmann, 1985), les rares œuvres marquantes s’imposent un recul nécessaire face au sujet, refusant de montrer ou interrogeant l’absence, l’instant d’après. Après y avoir pensé des années, un réalisateur comme Stanley Kubrick avait renoncé à aborder la question de front, la travaillant en arrière-plan  avec d’autres projets. La figure d’Hitler elle-même est impossible à mettre en scène de manière normale tant la finalité peut paraître douteuse ou par trop faible. Le dictateur est alors souvent relégué en off, rejeté de l’écran (1) ou totalement métamorphosé, changé par exemple en clown grotesque pour en fixer l’orgueil et la folie démesurés sur pellicule (du Le Dictateur de Charlie Chaplin à Inglorious Basterds de Quentin Tarantino).
« Pas un film catastrophe, mais la catastrophe faite film. » Cette phrase prononcée au cœur d’Hitler, un film d’Allemagne (1977) est au cœur du projet de Hans-Jürgen Syberberg. Ni portrait du dictateur, ni film historique, mais la tentative du portrait d’une époque, d’un moment historique et peut-être d’un pays comme le suggère le sous-titre « un film d’Allemagne ». Tourné en à peine vingt jours pour une durée finale de sept heures, Hitler s’inscrit dans une vaste tétralogie sur l’histoire allemande et reprend le modèle mis en place dans Ludwig, requiem pour un roi vierge (1972) et Karl May, à la recherche du paradis perdu (1974) que Syberberg développe en parallèle dans Winifred Wagner et l’histoire de la maison Wahnfried (1978). En héritier de Bertolt Brecht dont il a été photographe de plateau, le réalisateur rejette toute idée de reconstitution naturaliste pour une mise en scène à la théâtralité affichée qui mêle acteurs, marionnettes, décors artificiels et projection frontale, bande-son omniprésente et images d’archives pour un portrait hallucinatoire de Hitler et de l’Allemagne. C’est justement à cause de l’incapacité de la fiction à rendre compte de l’histoire que Syberberg rejette la reconstitution et révèle les rouages du film et de la mise en scène. (2) Le naturalisme s’éloigne mais n’empêche pas la réalité d’être prise de plein fouet.

 

Hitler, un film d’Allemagne revêt dès le premier plan une dimension mythologique par une inscription directe dans le cosmos dont le film ne se départira pas. Hitler est ainsi héroïsé par l’image, décrit à la fois comme un politicien, un artiste et un dieu. C’est un « enfant trouvé dans le ruisseau » comme il est dit dans le film, un nouveau prophète pour guider le peuple. L’aveuglement ou pire le souhait inconséquent et le rôle du peuple dans le nazisme est mis en cause : « Je suis la mauvaise conscience de la démocratie », puis plus tard « l’aboutissement de vos désirs les plus profonds ». Le film rend d’ailleurs la terrible puissance de la machine hitlérienne. La parole (les archives sonores) assomme, la surprésence de la musique wagnérienne s’ajoute à des effets scopiques, la pulsation de l’image endort peu à peu à la manière de l’hypnotiseur. Mais le film n’est jamais dupe et, en connaisseur du théâtre de l’absurde sur lequel il a rédigé sa thèse, Syberberg fait tomber le nazisme dans son propre piège de séduction. Dans le livret qui accompagne le coffret, Rochelle Fack, dans son texte La contamination nécessaire, précise à juste titre : « Syberberg prépare son cinéma à être contaminé par la propagande nazie. » Plutôt que de la rejeter, de la nier, Syberberg la met en scène pour en démontrer tant la puissance que la perversité.

De héros, sur le devant de la scène – l’espace du film rappelle alternativement la scène de théâtre ou la piste aux étoiles, écho d’un monde devenu fête foraine ou chapiteau de cirque – Hitler, pantin démantibulé, reprend alors tous ses rôles. Coupable, mais non responsable, il apparaît tour à tour comme l’homme mégalomane, le dirigeant furieux, l’artiste et le clown. Il se voit ainsi traversé par l’histoire du cinéma du Dictateur de Chaplin au M abattu et terrifié du finale de M le maudit de Fritz Lang. Un acteur génial en somme ou une marionnette à qui on peut faire endosser toutes les identités, tous les maux.

 

Pessimiste, ou simplement effrayé, Syberberg décrit Hitler comme un ultime pari des dieux face à l’humanité déchue, une dernière possibilité de se déterminer d’elle-même. Hitler, un film d’Allemagne est ainsi le film d’un constat douloureux autant de la démesure d’un homme que de la folie de tous les autres. « Pourquoi un film là-dessus ? » entend-on dans le film. « Sur quoi d’autre alors ? ».


Hitler, un film d’Allemagne
de Hans-Jürgen Syberberg, coffret 4 DVD et un livre de témoignages de Francis F. Coppola, Serge Daney, Michel Foucault, Alberto Moravia, Susan Sontag, Douglas Sirk, avec les textes de Rochelle Fack et Pierre Gras.

Édité pour la première fois en DVD chez Floris Films. Sortie le 25 juin 2012.


(1) Confronté à la même question avec la figure de Mussolini, Marco Bellocchio dans Vincere (2009) basculait lors de l’accession au pouvoir du dictateur de l’acteur Filippo Timi à des images d’archives.
(2) « Face au retour du nazi de fiction, il est nécessaire d’exhiber la machinerie cinématographique du studio qui a participé de la dictature et est toujours capable de nos jours de se mettre au service d’entreprises d’asservissement et de propagande. » Pierre Gras dans le texte Hitler, un film d’Allemagne de Hans-Jürgen Syberberg en 2011. Deuil impossible ; combat nécessaire.

 

Titre original : Hitler, ein film aus Deutschland

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Durée : 442 mn


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