Parfaitement huilée dans Détective Dee, la veine feuilletonesque de Tsui Hark, cette fois tendance roman d’aventure, tourne ici à plein régime sans faire défaillir le récit. Le nombre de personnages est triplé, et les rebondissements bien présents, mais une certaine tendance à la confusion connue chez le cinéaste se trouve heureusement ici contenue. Le soin porté aux jointures, le dosage des informations et des enjeux, tiennent le film de bout en bout. En gravitation autour de cet axe, le cinéaste peut s’autoriser toutes les arabesques, jouir du plaisir d’un récit avec guerres secrètes, complots, chausse-trapes, batailles et retournements de situations, invitant sans cesse, et cela jusqu’à la conclusion, à reconfigurer les liaisons et alliances construites entre les personnages et l’identité du groupe qu’ils constituent. C’est là que réside la très grande force du film, et l’assise de sa portée politique : une capacité à convoquer autour d’un MacGuffin un grand nombre de personnages, et à ne jamais définir de manière définitive leurs places dans la mosaïque mouvante composée par le film, ni au sein de la société chinoise. Les personnages reliés au pouvoir politique, les aventuriers se retrouvant à la Porte du Dragon, et d’autres guerriers aux situations plus marginales, verront ainsi leurs positions fluctuer, s’échanger, en un jeu transformiste ininterrompu. Aucune figure inamovible, pas même celle du justicier solitaire combattant l’autoritarisme d’Etat, qui sera un temps rejeté à la périphérie du récit, avant de devenir un des centres du petit groupe se retrouvant à l’auberge de la Porte du Dragon, puis de disparaître.
Tout change, donc, pour ceux donc l’existence se joue dans le chaos du cinéma de Tsui Hark, chaos emblématisé par le maelström que représente la furieuse tempête de tourbillons numériques, dont la menace constituée dès le début se traduit par l’inscription dans l’image de ciels spiralés aux couleurs saturées, ainsi que par une manière de se jouer des poids et des mesures et de convoquer des forces qui débordent le cadre. Le travail effectué sur la verticalité, dès une première scène d’affrontement qui voit les assaillants surgir par-dessus le décor pour finalement décapiter un représentant d’Etat, provoque un mouvement d’aspiration qui entraîne tout et ne recrache que quelques survivants sur une étendue redevenue lisse. La tempête numérique incarne alors ce qui à tous les niveaux, narratif, symbolique et plastique, se joue sous la surface. Le souffle soulève les masques, les sentiments, les images, pour donner à voir ce qui se brasse en-dessous, puis il recouvre, abandonnant les rescapés au souvenir de l’expérience esthétique qu’ils auront traversée. En prolongement apparaissent ces soucis, qui traversent l’œuvre du cinéaste, de rendre la fable à l’Histoire, par un ancrage précis inscrit en quelques plans comme dans Détective Dee, et de donner à la Chine des images plus complexes et composites que le masque bien lisse des officielles chinoiseries exportables.


Dragon Gate, la légende des sabres volants de Tsui Hark – DVD édité par Seven 7 – Disponible depuis le 26 juin 2013.