Dernière Saison

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Les dernières saisons de Jean Barrès à sa ferme, alors que la retraite approche et que la fatigue d´une vie ascétique s´est accumulée. Envie de transmettre, mais à qui ? Comment tourner la page ? Un documentaire stylisé, naturaliste et délicat qui refuse toute empathie ou compassion. Ce qui peut s´avérer déroutant.

Jean, 66 ans, dans une étrange grisaille bleutée, atmosphère lunaire, minérale, regarde sa vache vêler. D’emblée, le parti pris des plans fixes surprend : comment un univers aussi vide que les plateaux d’Auvergne peut-il apparaître aussi étouffant, fermé sur lui-même ? Le cadre ne dépasse pas les limites de la porte de l’étable. Le personnage principal est comme coincé dans l’image. L’espace est paradoxalement cloisonné, faisant ainsi écho à l’existence de Jean, enracinée dans cette terre de Combalimon depuis toujours. Ambiance anachronique, irréelle, des journées d’un vieil homme d’à peine 70 ans au milieu de ses bêtes et des objets sans âge de sa maison. Temporalité à contretemps des heures et des minutes en accéléré de nos vies modernes. Les premiers plans de Dernière saison introduisent le spectateur à cet espace-temps si particulier.

Malgré l’honnêteté de la démarche (le réalisateur s’est immergé des mois durant dans la vie de son personnage), le film s’avère prévisible quant au traitement de la paysannerie : de Jean Barrès est brossé le portrait d’un « taiseux », au verbe elliptique et souvent cocasse, attaché à ses bêtes comme à la prunelle de ses yeux. On peut certes répliquer que ce sont là les caractéristiques essentielles du paysan traditionnel (rien à voir bien sûr avec les agro managers, rois de la monoculture !).  Raphaël Mathié, de ses dires, issu du monde rural, connaît certainement mieux la paysannerie que quiconque. Néanmoins, cette impression de déjà-vu conduit parfois à l’ennui. Et conduit à se demander si l’erreur ne vient pas du fait de vouloir plaquer à tout prix certaines valeurs et couleurs sur la paysannerie, que le cinéaste projette sur son sujet, pris qu’il est par ses propres références inconscientes… ?  Comme La vie moderne, Dernière saison est un film sur la ruralité destiné à un public majoritairement… urbain. Les personnes filmées, quoique avec tendresse et sans condescendance, sont d’autant plus fictionnalisées que leur mode de vie nous apparaît, à nous, spectateurs des villes, étranger. D’où ce sentiment diffus que ces documentaires mettent moins en lumière des individualités propres que des symboles d’une ruralité à l’agonie. La caméra pénètre l’intimité de leur vie avec l’impudeur de l’ethnologue, comme elle n’oserait le faire avec d’autres milieux, aux modes de vie tout aussi minoritaires (la grande bourgeoisie, par exemple).   

Amoureux des peintres pré-impressionnistes ruralistes, du type Millet, ce film ravira vos pupilles ! Chaque plan est une œuvre en soi. Le faisceau de lumière dans la grange qui pointe sur le personnage principal, le ciel d’un bleu si travaillé, les lumières apocalyptiques d’un début de tempête, tout cela témoigne d’une attention extrême portée à chaque plan. La nature devient peinture, renforçant la sensation d’extériorité et d’éloignement. Le resserrement du cadre  accentue la picturalité méticuleuse des plans. Cette stylisation ne facilite pas l’empathie avec le personnage principal. Certains plans, volontiers énigmatiques, tournent à l’exercice de style formaliste. Le fil de l’histoire en devient flou : la question de la transmission ne prend pas un tour symbolique, on reste dans le parcours individuel de Jean Barrès. Dommage.


Titre original : Combalimon

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Durée : 80 mn


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