Dernier maquis

Article écrit par

Beau virage dans l’oeuvre de plus en plus radicale de Rabah Ameur-Zaïmeche, jeune cinéaste soucieux de la parole (et du geste) nue(s).

Succédant à Wesh Wesh, qu’est-ce qui passe ? (2002), film « de banlieue » suivant les pas de Kamel, jeune homme d’origine algérienne victime de la double peine, et Bled Number One (2006), accompagnant ce même Kamel dans son retour « forcé » au pays, Dernier marquis a déjà ceci de marquant qu’il prend un virage radical dans un parcours jusqu’ici aisément  lisible . Ce n’est plus cette fois le seul chemin d’un certain individu, d’un « personnage principal » bien identifiable qui installe la fiction, détache une action d’un relief « documentaire » (La Cité ; Le Paysage ; Le Garage), mais le permanent partage des forces induit par l’idée même du « groupe ». Le cinéaste-acteur incarne ici Mao, chef d’une entreprise de réparation de palettes reliée à un garage de poids-lourds. Autour de lui, une poignée d’hommes, travailleurs immigrés issus pour la plupart du Maghreb et d’Afrique noire. Très vite et de plus en plus précisément se dessinera en ce lieu presque unique (« Entre les palettes » pourrait être un titre alternatif), l’horizon d’une discordance, d’une inévitable tension inhérente à cette proximité des statuts. Seul contre/devant/face à ses employés, le patron se verra amené à mêler à son autorité une prudence, une écoute indispensables à la fluide continuité du travail. Ne fait aucun doute, dès la lancée du jeu, que de la vigilance, de la bonne réception d’une requête, une demande, même infimes, dépendra l’équilibre d’un bien instable corpus.
 
                                                                                                 

Comme rarement dans le cinéma français, Dernier Maquis représente la réalité de ce qui trop souvent relève d’une forme de « fantasme », de projection vague guidée par une pardonnable méconnaissance : le lien permanent, pour tous ces hommes, entre le travail et la religion. Nous est ainsi offerte, in extenso, une longue séquence de prière musulmane regroupant les travailleurs dans une petite mosquée initiée par Mao, à dessein sans doute de leur assurer, au-delà de leur activité quotidienne, un repère commun – qui s’avèrera pourtant être au final leur premier véritable point de discordance. Se lit dans cette approche frontale, « quasi-documentaire » (bien que tout ici demeure de pure fiction), ce corps à corps avec la réalité de son sujet, une nécessité, de la part de RAZ, de relier à tout instant l’avancée linéaire de son récit, le découpage apaisé de ses séquences à une matière brute ne cessant de lui échapper un peu. A défaut de pouvoir tout saisir de ce qui constitue la vie de ce peuple sous-représenté, assez invisible sur les écrans, pourquoi ne pas s’essayer, modestement, à une  rencontre, une immersion subtile dans son paysage rituel, négocier, avec la distance comme la proximité requises dans pareil procédé, une possible  restitution  de ce réel ? Le jeu en vaut d’autant plus la chandelle que bonne part des acteurs de cette restitution sont directement  tirés  de ce réel ( la troupe de « vrais » acteurs du cinéaste, constituant l’équipe des « mécaniciens », est associée à de véritables ouvriers, jouant pour ainsi dire leur propre rôle de « manœuvres »). Résulte de l’expérience un trouble et efficace mélange de permanente clarté du trait, des mots, et de confusion, de mise en doute de la dimension totalement « fictive » de certaines situations.
 
                                                                                                   

Ne manqueront, ne manquent déjà pas d’être avancées moult tentatives (évidemment toujours pertinentes et bienvenues, quoique un peu attendues) d’identification de Dernier Maquis comme film « politique », plus précisément manifeste « marxiste » à la transparence de jeu sensiblement « brechtienne ». Comment, en même temps, ne pas être pris, à la vision de pareille mise en scène du mouvement de contestation et de revendication de droits d’un groupe de travailleurs abusés par leur employeur, de ce réflexe d’apparentement de l’œuvre à une certaine ligne, un certain idéal ? En effet, ce film est politique jusqu’au bout des ongles, dans le sens littéral d’une confrontation (essentiellement verbale, finalement physique) des parties mises en présence. Dans le sens poétique de la volontaire hypervisibilité d’une couleur : le rouge, celui recouvrant les palettes manipulées et regroupées à longueur de journée. Mais l’évidence du positionnement politique du film ne doit pas être un frein au suivi d’une passionnante installation de cinéaste dans l’organisation d’un regard précis sur le monde. Comme dans le dernier opus de Laurent Cantet, tonifié par l’entremise d’une vertigineuse proposition dialectique autour de l’organisation et de la formulation d’une parole, d’un raisonnement  tenable  face à l’altérité, déborde ici la richesse monstre des langages. Entre interrogations franches et fourberie, menaces à ciel ouvert et négociations semi-diplomatiques, la direction esthétique (d’ascendance certes théâtrale) du cinéma de Rabah Ameur-Zaïmeche est de celles qui poussent à un travail sur l’attention, le guet, le requestionnement de tout édifice. S’y dévoile, l’air de rien et souvent pour le meilleur, une forme plus diffuse (mais toute aussi saisissante) de politique : celle d’un jeune auteur en pleine action.
 

                                                                                                      


Titre original : Dernier maquis

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Durée : 93 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Journal intime

Journal intime

Adapté librement du roman de Vasco Pratolini, « Cronaca familiare » (chronique familiale), « Journal intime » est considéré à juste titre par la critique comme le chef d’œuvre superlatif de Zurlini. Par une purge émotionnelle, le cinéaste par excellence du sentiment rentré décante une relation fraternelle et en crève l’abcès mortifère.

Été violent

Été violent

« Eté violent » est le fruit d’une maturité filmique. Affublé d’une réputation de cinéaste difficilement malléable, Zurlini traverse des périodes tempétueuses où son travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Cet été
violent est le produit d’un hiatus de trois ans. Le film traite d’une année-charnière qui voit la chute du fascisme tandis que les bouleversements socio-politiques qui s’ensuivent dans la péninsule transalpine condensent une imagerie qui fait sa richesse.

Le Désert des tartares

Le Désert des tartares

Antithèse du drame épique dans son refus du spectaculaire, « Le désert des Tartares » apparaît comme une œuvre à combustion lente, chant du cygne de Valerio Zurlini dans son adaptation du roman éponyme de Dino Buzzati. Mélodrame de l’étiquette militaire, le film offre un écrin visuel grandiose à la lancinante déshumanisation qui s’y joue ; donnant corps à l’abstraction surréaliste de Buzzati.