Cyrano de Bergerac (1990)

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Rôle sur mesure pour Gérard Depardieu et mise en scène audacieuse : cette adaptation du « Cyrano de Bergerac » d’Edmond Rostand est loin de n’être que théâtrale.

Cyrano parle comme il respire, déclame comme il vit : sans jamais reprendre son souffle. Lorsqu’il se bat, de peur de perdre ou de laisser à d’autres ces instants de vie, il comble alors les silences par des vers qu’il improvise là, épée à la main. Son fourreau le démange ; sa langue aussi. Cyrano est aimé et craint à la fois. Aimé car sa répartie et son éloquence transforment chacune de ses apparitions en spectacle, en pantomime gracieuse ridiculisant les audacieux voulant croiser le fer où les mots. Craint car le bougre est susceptible concernant un léger détail de son anatomie : l’appendice qu’il ne faut jamais nommer en sa présence, celui qui se trouve au milieu du visage. Voie royale pour Gérard Depardieu qu’est ce personnage de l’excès, plus grand que nature et secrètement désespéré derrière le masque. Casse tête pour le réalisateur qui ose se frotter au si célèbre texte. 

Jean-Paul Rappeneau, en adaptant la pièce d’Edmond Rostand, se retrouve confronté à une réelle difficulté. Faire du cinéma avec le texte de 1897 et éviter à tout pris la théâtralité. Ecarter le cadre du théâtre filmé et donner vie sur l’écran à une pièce parmi les plus connues et aimées de notre pays. Film à gros budget, à grosse distribution, Cyrano de Bergerac comme le personnage titre, ne tient alors pas en place. Cherchant le rythme, la vie, dans la mise en scène et pas seulement dans le texte, ne s’attardant que très rarement au même endroit, Rappeneau oblige son film à se justifier à chaque instant, à nous convaincre de sa raison d’être. Dès la première scène et la célèbre tirade du nez (Moi, Monsieur, si j’avais un tel nez, Il faudrait sur le champ que je me l’amputasse!), Rappeneau gagne son pari.

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L’énergie qui se dégage de la mise en scène, le soin apporté à la direction artistique nous emmène dans ce vieux Paris où le peuple s’attroupe autour des joutes, qu’elles soient verbales ou d’armes. Le plaisir avec lequel Rappeneau semble filmer ce verbe haut dans la bouche de ses interprètes, plus encore qu’être communicatif, est enivrant. Et Cyrano, amoureux en cachette de sa cousine Roxane, bondissant et alerte, c’est un acteur. C’est un phrasé, une voix ne laissant aucune place au vide, mais également un corps. Depardieu, même s’il n’est qu’une ombre fuyant hors-champ, habite chaque instant de Cyrano de Bergerac. Sa silhouette imposante, solidement ancrée dans le cadre n’a pourtant jamais semblé aussi légère. Cruelle pour les interprètes autour de lui, pourtant tous honorables, sa performance ne laisse que très peu de place à l’écran. Derrière le nez postiche et les costumes, le personnage est bien toujours là, naturellement. On rit plusieurs fois avec lui mais on partage également très souvent sa mélancolie. Celle d’un homme se voyant trop laid et qui vit son amour par procuration à travers le physique d’un autre. Christian, charmant Roxane par son physique de jeune premier et s’appropriant les lettres d’amour enflammées que Cyrano écrit lui-même pour la belle. Ne pouvant se regarder dans un miroir, Cyrano se condamne à jamais avouer son amour, se condamne à souffrir. Le bondissant Depardieu se recroqueville alors, n’en devenant que plus bouleversant.

Depardieu vampirise à tel point le film,  que lorsqu’il ne se trouve pas physiquement à l’écran, Cyrano de Bergerac s’essouffle et tend à s’ennuyer de lui même. Quand le récit quitte Paris pour s’attarder dans des camps de soldats jusqu’à la bataille d’Arras, Rappeneau procède de la même méthode que celle mise en place dès les premiers instants à Paris. Ne jamais laisser le spectateur confortablement installé face à une scène. Les péripéties s’enchaînent alors (franchir les lignes adversaires pour pouvoir envoyer ses lettres à Roxane ; voler de la nourriture) mais ne passionnent désormais à aucun moment. Pas vraiment concernés par ce que l’on nous présente à l’écran, nous sommes, tout comme les personnages, impatients de revenir à la capitale. Quitter cette lumière crue et retrouver les couleurs chaudes des nuits déjà vécues. Pourtant rien ne sera plus comme avant. Christian meurt et Roxane fera le deuil d’un amour qui n’a jamais réellement existé. Cyrano lui, se taira encore. Rappeneau nous les fait retrouver alors quinze ans plus tard, Roxane ayant intégré un couvent, Cyrano se présentant à elle mourant. Avec subtilité, pudeur, le réalisateur semble donner la fin de son film à son acteur principal. Bien qu’il ait lutté jusque là contre, la mort de Cyrano sera forcement théâtrale, car tout meurt avec lui. Les instants passés, les instants perdus mais ceux également non-vécus. Rappeneau accompagne pourtant encore Depardieu. La caméra tourne autour de lui, se rapproche mais jamais trop près. L’effleure peut être. Roxane comprend que c’est l’être aimé qui meurt une deuxième fois devant elle. On souhaite alors que l’ultime tirade ne finisse jamais, mais Cyrano s’écroule enfin, avec panache. Il laisse alors à sa place, durablement, à celle qui l’a accompagné toute sa vie, cette mélancolie. 

Titre original : Cyrano de Bergerac

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Durée : 135 mn


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