Coffret livre/DVD Brian de Palma

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Au cours d’un livre d’entretiens réédité chez Carlotta Films, Brian de Palma revient sur sa carrière singulière à Hollywood.

« Le cinéma, c’est du mensonge vingt-quatre fois par seconde », aime répéter Brian de Palma. Ce credo est-il celui d’un moraliste en croisade contre le mensonge ? Certainement pas.
Au cours de l’entretien-fleuve que le vétéran du Nouvel Hollywood accorde à Samuel Blumenfeld (journaliste et critique au Monde) et Laurent Vachaud (scénariste et dialoguiste), se dessine le portrait d’un homme ambivalent. Désespéré par « l’ère du soupçon » dans laquelle l’Amérique est entrée depuis l’assassinat de Kennedy, il révèle pourtant sa fascination pour les manipulations et autres conjurations (Blow Out – 1981, Outrages – 1989, Mission : Impossible, 1996). Très critique envers la famille, en grande partie pour des raisons autobiographiques, ses parents ayant toujours mis en valeur son frère aîné Bruce, le scientifique de la fratrie, il se montre toutefois obnubilé par les relations malsaines qui règnent dans les familles (Sœurs de sang – 1973, Obsession – 1976, Carrie au le bal du diable, 1976).


La morale du style

Il faut remonter à la formation intellectuelle et artistique de De Palma pour comprendre son cinéma. De sa jeunesse, le cinéaste a conservé deux morales, qui marqueront à jamais ses films : son éducation quaker et la contre-culture des années 60. De la première, il garde la passion de la vérité et le questionnement moral qui agite ses personnages ; à la seconde, il emprunte le goût des images frappantes et le sens de la composition visuelle et sonore.
À la confluence de ces deux sources de la morale, se trouve celui qui se définit avant tout comme « un styliste ». Mais le style recouvre ici un sens bien particulier. Dans la lignée d’Hitchcock, qu’il assure « connaître mieux que quiconque », le réalisateur s’interroge sur les moyens que fournit la « grammaire cinématographique » qu’a déployée tout au long de ses films l’auteur de Vertigo (1958). Sa relation au maître du thriller demeure ambiguë : s’il reconnaît avoir appris ladite grammaire en observant plan par plan Psychose (1960), La Mort aux Trousses (1959) ou encore Pas de printemps pour Marnie (1964), il enrage que l’on qualifie d’« hitchcockien » ses propres films, dès lors qu’ils contiennent une blonde et un meurtre.

Pour De Palma, le style signifie donc la valeur morale attribuée à chaque élément de la grammaire cinématographique. On peut donc voir certaines de ses œuvres comme des exercices de style, au sens où une forme visuelle et narrative suscite un problème moral. Phantom of the Paradise est un modèle du genre, et l’un des chefs-d’œuvre du cinéaste. S’y déploie, avec toute l’hystérie propre au fantastique, la palette entière de l’art cinématographique : plans accélérés, zooms, split-screens… Une fureur démentielle agite l’unique film musical de De Palma ; comme si l’esprit de revanche qui animait Winslow (William Finley) et l’orgueil narcissique de Swan (Paul Williams) contaminaient la forme du récit. La séquence finale vire au délire dionysiaque : dans la veine de Dionysus in 69, captation d’une adaptation de l’Orestie d’Eschyle que fit De Palma en plein mouvement anti-guerre du Vietnam, le spectacle inaugural du Paradise tourne au jeu de massacre excentrique et au comique barbare, soit la fascination pour le déferlement des passions.
 

La platitude formelle de Hollywood

Contrairement à ses confrères du Nouvel Hollywood (Coppola, Scorsese, Spielberg et Lucas), De Palma a gardé tout au long de sa carrière la préoccupation de la forme. « Je compose mes films à partir de séquences visuelles fortes », confie-t-il pour bon nombre d’œuvres. Chez lui, la mise en scène demeure antérieure à la narration ; et celle-ci doit s’y plier, quitte à déformer la sage linéarité du récit.
Car de la contre-culture américaine des années 60, des documentaires de ces années-là et de la Nouvelle Vague française, le cinéaste a retenu l’inventivité formelle et le besoin de se renouveler. Ce qui le place aujourd’hui en situation d’ermite au sein du paysage américain, dont il ne cesse de déplorer au long de l’entretien la monotonie visuelle et l’esprit de conformité depuis les années 80-90.
Surtout, depuis le désastre critique et commercial du Bûcher des vanités en 1990, le réalisateur se considère mis au ban par les grands studios hollywoodiens. Et tant mieux pour lui : comme il aime le dire, il n’a jamais apprécié l’intervention des producteurs dans ses films, et a toujours jalousement conservé son indépendance, quitte désormais (depuis Mission to Mars en 2000) à faire des films moins médiatisés.

Machinations et plans de réalité

Irréductible solitaire, guidé par des principes moraux, Brian de Palma fait penser au personnage de Jack Terry (John Travolta) dans Blow Out. Comme De Palma, marqué par l’assassinat de Kennedy et le film amateur d’Abraham Zapruder, un meurtre incompréhensible hante Jack Terry ; et celui-ci fait tout pour montrer au grand jour son enregistrement sonore du meurtre d’un homme politique, déguisé en accident. Mais, comme De Palma, Terry ne s’intéresse pas tant au dévoilement de la Vérité qu’à l’existence d’une structure de dissimulation. Pour Terry comme De Palma, les dispositifs d’altération de la réalité (médias, communication, cinéma…) importent plus que la posture du justicier rétablissant la Vérité absolue. À l’instar de Kurosawa dans Rashômon (1950), De Palma voit « plusieurs plans de réalité ».
À charge, pour le septième art, de les explorer toutes, et d’adapter pour chacune d’elles une forme adéquate.
 


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