Coffret DVD « La Colline a des yeux »

Article écrit par

A l´occasion de sa sortie en coffret collector, retour sur « La colline a des yeux » de Wes Craven, un survival où la frontière entre les << sauvages >> et les << civilisés >> n´est pas si poreuse que cela.

Master of horror malgré lui

« La dernière maison sur la gauche se joue au Penthouse Theater, pour ceux prêts à payer pour voir des gens répugnants et le spectacle de l’agonie humaine. » (1) Complaisance perverse, violence gratuite…les qualificatifs ne manquent pas pour désigner le premier long métrage de Wes Craven. Douché par l’accueil critique, le nouveau réalisateur décide de tourner le dos au genre qui a fait de lui un paria : « Ma vie sociale dans le New-York artistique et universitaire s’en est retrouvée réduite à néant. » En trois ans, il signe sept scripts, écrit des sketches, s’aventure dans le milieu du X mais au bord de la ruine, se voit obligé de retourner à ce qu’il refusait : l’horreur. Après que le producteur Peter Locke lui ait suggéré de faire un film qui se passerait dans le désert, il découvre l’histoire de la famille Sawney : un clan écossais qui, trente ans durant, a dévoré les voyageurs de passage avant que ses membres soient capturés, torturés puis exécutés en place publique. Craven actualise le fait-divers et l’importe aux Etats-Unis ; au rape and revenge façon La dernière maison sur la gauche (1972) succédera le survival avec La colline a des yeux.

Partie de Cleveland, Ohio, la famille Carter au grand complet (parents, enfants, bébé, gendre) traverse les Etats-Unis en voiture pour rejoindre Los Angeles, Californie. Toujours tout droit par la grand route leur rappelle le pompiste d’une station décrépie mais Big Bob, le père, tient à visiter des mines de sel. Les voilà perdus et bientôt piégés dans le désert sans se douter qu’ils viennent de s’inscrire au menu d’une famille de cannibales installée dans les montagnes. Un choc des civilisations tourné en cinq semaines pour 320 000 dollars par 50° à l’ombre, avec des caméras louées à un pornographe californien et une équipe composée de quinze membres quasiment novices à l’exception d’Eric Saarinen, le chef opérateur habitué aux productions Corman. « Je ne savais pas vraiment ce qu’on faisait. », dira plus tard Wes Craven ; ce qui n’empêchera pas le film d’accéder au rang de film culte.

 


Un western malade


La colline a des yeux
ne partage pas que son chef déco (Bob Burns) avec Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974), mais aussi un certain discours. Le premier confrontait des jeunes gens à une famille d’équarisseurs, hideux rebuts subsistant sur des territoires oubliés que l’Amérique ne saurait voir. A l’image de la profanation du cimetière inaugurale, Massacre déterrait le refoulé ; Craven ne fait pas autre chose avec ses anthropophages du désert.

Auparavant architecte du désert, l’homme n’est plus grand-chose dans ces grands espaces américains devenus « poubelle » voire point aveugle du pays. Filmés en plongée et à distance, les Carter ne sont qu’un détail dans un paysage fait pour les oiseaux de proie, les serpents et les mygales. Ecrasée par l’immensité du vide, la famille devient une proie prise en chasse par une menace invisible qui semble tout d’abord être l’espace lui-même – ces montagnes préhistoriques tellement hautes qu’elles bouchent toute possibilité d’horizon et auxquelles semblent appartenir les mystérieuses voix off qui se font entendre au début.

Une route déserte, une maison solitaire et un virevoltant poussé par le vent, Wes Craven se fait fordien. L’attaque de la caravane par Mars et Pluton s’assimile bien à une attaque de diligence par les Indiens – décapitation de perruche en prime – et la tenue de maman Jupiter ressemble à celle d’une amérindienne. Jupiter, Pluton, Mars et les autres sont le « cimetière indien » de ce film : quelque chose que l’on a voulu oublier – le père de Jupiter l’a abandonné dans le désert pour qu’il y meure – et qui revient se venger. Et tourner en dérision les coutumes des « autres » en désignant le bébé comme « bon repas pour Thanksgiving ». L’envers du rêve américain est une hallucination malade, la nature n’est plus ce lieu de la construction de soi décrit par Thoreau et le mythe de la conquête est mort, nous dit ce western cauchemardesque.

 


Familles, je vous hais

« Sors les squelettes du placard. » Ce conseil donné par Sean Cunningham – le réalisateur de Vendredi 13 (1980) – Craven l’a appliqué à toute sa filmographie, où les croquemitaines naissent souvent des refoulés de la société et de la cellule familiale.

La colline a des yeux fonctionne en miroir. D’un côté la famille typique américaine tout droit sorti d’une sitcom, placée sous le patronage de la Bible (la mère croyante) et du flingue (le père ancien policier) et de l’autre sa parodie grimaçante, la famille monstrueuse régie par ses bas instincts. Chaque membre du clan porte un nom de planète, faisant ainsi référence aux mythes grecs et latins peuplés de dynasties incestueuses, meurtrières, parricides etc. Papa Jupiter présente ainsi des similitudes avec Chronos, le dieu qui a dévoré ses propres enfants. Si l’horreur est évidemment de leur côté et de leur fait, les Carter y réagissent avec la même agressivité. Jusqu’à trouver un certain plaisir dans le déchaînement de la bestialité, comme le montre le plan final inondé de rouge sang. Encore une fois, le réalisateur qui fut élevé chez les baptistes fondamentalistes règle ses comptes avec la sacro-sainte notion de famille. Chez Craven, les monstres n’ont pas le monopole de la cruauté, la civilisation n’étant souvent qu’un vernis prêt à craquer à tout moment.

Catégorisé X par le Comité de classification des films, le film doit se priver de certaines scènes pour se voir attribuer une interdiction aux moins de dix sept ans. Avec le recul, La colline a des yeux a vieilli et a perdu de sa puissance malgré des pointes d’humour noir qui surprennent encore.

 

Suppléments DVD : Entretien avec l’acteur Martin Speer / Documentaire « Retour sur La colline a des yeux »
Suppléments Blu-Ray : Fin alternative en HD / Commentaire audio du réalisateur Wes Craven et du producteur Peter Locke / Commentaire audio de Mikel J. Koven, auteur de « La Dolce Morte : Vernacular Cinema and the italien giallo film » / Commentaire audio des acteurs Michael Berryman, Janus Blythe, Susan Lanier et Martin Speer / Documentaire « Wes Craven, grand réalisateur d’Hollywood » / Entretien avec Stéphane du Mesnildot, rédacteurs aux Cahiers du cinéma / « The desert sessions », entretien avec le compositeur Don Peake / Bêtisiers et coulisses du tournage inédits / Bandes-annonces / Spots Tv / La colline a des yeux 2

Le coffret DVD s’accompagne d’un livre de deux cent pages Le droit à l’horreur écrit par Marc Toullec, collaborateur de Mad Movies.
Un livre riche en témoignages de Wes Craven lui-même, qui en plus de retracer le parcours parfois chaotique du réalisateur, dessine en creux le portrait des deux producteurs les plus influents mais surtout les plus impitoyables : les frères Weinstein. Marc Toullec. Le livre parle du Wes Craven réalisateur et producteurs de films et de téléfilms et raconte de nombreuses anecdotes sur les différents tournages d’un homme fasciné par les rêves, qui ne voulait pas être cantonné aux films d’horreur.

La colline a des yeux de Wes Craven – DVD édité par Carlotta Films – Disponible depuis le 7 décembre 2016.

(1) Howard Thompson, The New-York Times, 22 décembre 1972

Titre original : The Hills Have Eyes

Réalisateur :

Acteurs : , , , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 90 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi