La voix off de Laura revient de façon récurrente crier la souffrance de l’héroïne : ses doutes, ses peurs, son angoisse devant un amour qu’elle ne maîtrise plus et qui la saigne. Aimer, se taire, et souffrir en silence, dignement, intérieurement, voilà le drame qui se joue.
Brève rencontre (Brief encounter) raconte la passion dévorante entre deux êtres au destin et à la condition semblables. Lui est médecin, apparemment heureux dans son couple ; elle est une épouse dévouée et une mère aimante. Laura se définit elle-même comme une femme « quelconque » et « rangée », qui a tout pour être heureuse. Peut-être le sentiment de bonheur familial qui est le sien n’est-il qu’une illusion. En tout cas, Alec va bouleverser sa vie tranquille et ses valeurs de « petite bourgeoise » rassurée par un quotidien sans surprise, sans flamme, un peu morne, mais sans inquiétude non plus. Ils se rencontrent, se plaisent, et s’aiment. Mais leur amour sera définitivement prisonnier des conventions sociales.
Le film s’ouvre sur un train entrant en gare à grande vitesse et traçant dans le ciel un impressionnant nuage de fumée, sublime métaphore du lien qui rapproche et réunit les deux protagonistes. Le récit s’appuie ensuite sur la voix off de Laura, procédé utilisé ici avec une finesse et une force remarquables. Les élans mélodramatiques ne sombrent en effet jamais dans la surenchère lourde et pathétique. Ils impulsent la narration tout en nous confrontant au drame intérieur de Laura, qui nous livre en off ses pensées secrètes et s’adresse également à son mari ; merveilleuse façon de décrire l’état de souffrance intérieure et silencieuse de cette femme rendue impuissante et sans ressource par un amour trop lourd à porter.
Le vent de fatalité qui plane sur le film fait résolument penser à une pièce tragique. Cette histoire d’un amour impossible était écrite d’avance, sauf peut-être le début de la romance, déchaînée par un grain de poussière dans un œil. Un petit rien peut avoir de grandes conséquences…
Lors de la déclaration d’amour, tout est dit à demi-mot, avant que n’arrive cette phrase assassine d’Alec, répétée à intervalle régulier : « Je t’aime, toi aussi tu m’aimes, tu le sais comme moi ».
La passion semble donc inéluctable. Son dénouement aussi. Car Laura et Alec sont profondément enfermés dans un carcan de relations sociales. Leur amour est interdit par les règles, les normes de la société. Et Laura de culpabiliser du bonheur véritable que lui procure cette relation extraconjugale : « J’avais l’impression d’être un malfaiteur » ; « Cela me donne des remords, mais je jouissais de chacune des minutes ». Se cacher et fuir le regard des autres, telle est l’unique voix qui se dessine pour assouvir leur passion amoureuse.
Dans un très beau noir et blanc, traversé de quelques fulgurances esthétiques où les jeux d’ombres mettent en valeur un blanc baignant dans l’obscurité, David Lean, qui réalisera plus tard Lawrence d’Arabie, Le Docteur Jivago et Le Pont de la rivière Kwai, nous livre ici un film doux et douloureux tout à la fois, exaltation du désir et de la souffrance féminine. On y sent beaucoup de retenue et de pudeur. Brève rencontre s’inscrit donc dans la tradition des grands mélodrames, cependant bien différent de ce que Mizoguchi par exemple, à peu près à la même époque, peut réaliser (on pensera aux Amants crucifiés, 1954).