Bon voyage (2003)

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Jean-Paul Rappeneau filme la France en guerre comme un ballet trépidant, où les petits destins croisent la grande histoire, avec un sens du rythme et de la comédie maitrisés de bout en bout.

Si l’on considère d’ordinaire Jean-Paul Rappeneau comme un artisan du cinéma, c’est tout d’abord au regard d’une filmographie clairsemée. Sept films comme réalisateur, et plusieurs scénarios depuis les années 60, c’est très peu au regard d’une carrière de bientôt 50 ans de cinéma !


Réalisé en 2003, Bon Voyage, son dernier film en date, est un film d’époque nous plongeant dans la France tourmentée de la débâcle. Comme pour La vie de château, Rappeneau s’arme d’un scénario original (cooécrit ici avec Patrick Modiano et Julien Rappeneau) pour scruter avec une légèreté de surface la sombre période du second conflit mondial.

Les deux premières scènes donnent le ton, ou plutôt les tons du film : une célèbre actrice de cinéma, suivi chez elle par un maitre chanteur, le tue d’un coup de pistolet, puis appelle à la rescousse un soupirant pour qu’il se débarrasse du cadavre. Le drame est traité en hors-champ, on ne verra que l’actrice se débattant avec son soupirant pour qu’il n’appelle pas la police, feignant les larmes, criant d’avance au scandale que cela provoquerait dans tout Paris si on découvrait la sale affaire. Une scène de meurtre traitée en mode comique, où l’actrice de cinéma fait son numéro de drame, exagérant à outrance l’angoisse provoquée par cet acte gênant sa carrière. Pour clore l’épisode, le jeune Frédéric Augier emporte sous une pluie battante le cadavre dans le coffre d’une voiture, et heurte une borne de la police provoquant aussitôt l’alarme et l’ouverture du coffre ! De l’humour donc, qui donne de prime abord l’impression exaltante de s’offrir une comédie sophistiquée en temps de guerre.
 

Le scénario entrecroise intrigues, lieux et personnages, tous liés pans le contexte de la guerre. L’intrigue débute  en juin 1940, passant ensuite à l’annonce de la débâcle (accompagnée de la peur de l’arrivée des allemands) et enfin l’occupation en 1942 . Trois périodes donc, même si l’intrigue apparait finalement condensée sur les quelques jours où le tout Paris s’enfuit à Bordeaux. Jean-Paul Rappeneau parvient à composer une cartographie de la guerre assez réjouissante, faisant se croiser divers événements marquants et datés de la guerre par le trajectoire de ses personnages de fiction. Ainsi, la cession de l’assemblée nationale siégeant dans une classe d’école en juin 40, la démission de Paul Reynaud, l’exil du Général De Gaule en Angleterre sont montrés, mais toujours par le biais des histoires individuelles des personnages. Le réalisateur semble ainsi faire le choix de louvoyer entre la grande Histoire avec ludisme et bonne humeur, imbriquant récit fictionnel et récit d’une époque, qu’il parvient à restituer malgré tout avec une belle acuité.

En effet, derrière la construction scénaristique maligne pointent souvent la confusion et la peur des personnages. Le fourmillement des intrigues et des enjeux renforce aussi la perception de l’angoisse d’une période troublée, où chacun lutte pour son propre intérêt quel que soit l’issue nationale. Les trains bondés de réfugiés, les rues encombrées de familles à Bordeaux, la délicate condition d’un professeur de physique « juif et apatride », toutes ces évocations d’un pays bouleversé n’éloignent jamais Bon Voyage du film de guerre. On peut imaginer que la collaboration de Patrick Modiano au scénario, écrivain obsédé par la période de l’occupation allemande, n’est pas pour rien dans cette gravité qui affleure au court du récit.
 

Le scénario souligne d’ailleurs assez bien que l’époque est celle des choix, la collaboration ou la résistance, mais aussi celle où les destins individuels doivent être envisagés au regard du destin collectif. Le jeune Fréderic Augier, aspirant écrivain, abandonnera ses ambitions littéraires pour entrer en résistance, tout comme le ministre Beaufort devra renoncer à sa liaison avec l’actrice de cinéma, qu’il sait mal vue du futur gouvernement. C’est par la nécessité de faire passer l’eau lourde en Angleterre que certains personnages centraux vont se rencontrer. Cette action commune, à la fois nécessaire pour l’avenir de certains individus (le professeur, Camille), mais aussi primordiale pour le bien commun (empêcher les allemands de fabriquer une bombe), rapprochera les personnages, dans un hommage à l’entraide et à la débrouillardise nécessaire à la période.

C’est pourtant la comédie qui domine, le réalisateur fait le choix de rythme, de la ferveur et d’une attention aux personnages qui font de Bon Voyage une comédie d’aventures palpitante, rappelant certaines épopées de capes et d’épées des années 40. Ainsi, les personnages naviguent dans le pays (de Paris à Bordeaux, en passant par la campagne et les Landes) encombré, et le film conserve un rythme frénétique, alliant belles scènes collectives, fuites et bagarres, fusillades, avec une fluidité incroyable, compte tenu de la multiplicité des personnages et des intrigues. Le temps n’est pas au calme et à l’immobilisme, et le réalisateur injecte inssaissament de l’urgence à chacune de ses scènes, ne laissant aucun temps de répit au spectateur. Pour bien entrevoir la minutie de construction de certains plans, la virtuosité de plusieurs scènes (la bagarre dans le restaurant, l’évacuation de la prison) ou encore apprécié tous les bons mots émaillant les dialogues, le film mérite d’être revu, encore et encore.
 

Egalement hommage au 7ème, c’est par le biais de ces personnages que Rappeneau rend au cinéma le tribut que son film lui doit. L’actrice de cinéma Viviane Danger, interprétée par une Isabelle Adjani parfaite et maniant presque l’autodérision, n’est pas sans évoquer ces actrices (et ces personnages) du cinéma de qualité française, alliant distinction et charme, mélange de femme fatale et de femme enfant. Certaines comédies de Lubitch ne sont pas loin non plus, dans ce bal de personnages qui se croisent et parfois se rencontrent. Des voleurs, un espion allemand se faisant passer pour un journaliste anglais, des réfugiés, des bourgeois sans domicile, des hommes politiques, un scientifique, une jeune étudiante idéaliste, tous sont également caractérisés avec soin, éloignés de toute caricature.

Si le film, comme dans un clin d’œil à lui-même, s’ouvre et se clos dans une salle de cinéma, c’est semble-t-il pour nous rappeler la capacité du cinéma à produire des histoires. Bon Voyage possède toutes les caractéristiques du film français à gros budget, un casting rempli de tête d’affiches, mais tous cohabitant ensemble sans tirer la couverture à eux, et les effets spéciaux et les moyens de la reconstituions restent toujours discrets, au service du récit. Peut-être que la rareté de Jean-Paul Rappeneau comme réalisateur tient à l’ambition de concocter à chaque fois un film complet, soigné, dans une tradition du cinéma en effet artisanale, mais au combien réjouissante, puisque sans autre prétention que de construire des récits de qualité et de faire aimer des personnages bien écrits.
 

 

Titre original : Bon voyage

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Durée : 114 mn


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