Bilan du 5e Festival International du Film Documentaire de Bruxelles

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En guise de bilan du Festival Millenium, on vous propose un petit voyage autour du monde. Certains n’en sont même pas revenus !

Du 31 mai au 9 juin, à divers endroits de Bruxelles mais principalement au Vendôme et à Flagey, s’est tenu le Festival Millenium, le festival international du film documentaire.

Nous ne parlerons pas du grand prix, A World Not Ours (1), superbe film qui a mérité tous ses honneurs, mais de cinq films qui ont largement retenu notre attention et auxquels on souhaite une belle vie par-delà les festivals. Un retour sur ces films marquants. Ou un rapide tour du monde.

Première halte : Uruguay

El Bella Vista, documentaire venu d’Uruguay, dont le sujet, original, a attiré pas mal de spectateurs. Alicia Cano, la réalisatrice, s’intéresse à un lieu, le Bella Vista, qui a subi différentes mutations sur plusieurs générations. Ainsi un club de foot se transforme en maison close de travestis et, pour finir, devient une chapelle où les jeunes enfants viennent apprendre leur catéchisme.
Passé le moment d’amusement et de curiosité à la lecture du pitch, l’engouement est revu à la baisse après la vision du film. Au sortir de la salle et en écoutant les spectateurs devenus critiques discuter du film, on ressent l’ambiance plutôt mitigée qui émane des conversations.
Certains passages sont bien traités, amusants et touchants. Ainsi le début du film suit une bande de vieux villageois qui nous parlent de ce lieu qu’ils ont connu il y a plus de vingt ans, de ce club de foot qui a vu s’exercer leurs jambes dociles. Aujourd’hui et devant la caméra, ces corps désormais un peu plus frêles (la moyenne d’âge avoisinant la soixantaine) rejouent un match, une dernière finale, sur ce terrain de sport jadis tant foulé, devenu aujourd’hui cimetière des souvenirs. Ces premières séquences nous transmettent parfaitement cette nostalgie du lieu, et l’émotion de chaque joueur est palpable sans pour autant nous sembler pathétique. Le subtil mélange entre un humour léger et une grande sensibilité est réussi.
 

D’une toute autre manière, la seconde partie du documentaire est consacrée au présent du lieu, c’est-à-dire aux activités des travestis qui évoluent étroitement entre les murs de cet espace. Le passage consacré aux travestis se déroule avec un handicap de taille : de nombreux instants semblent extrêmement mis en scène. On regrette ainsi vite le fait que cette partie soit moins spontanée et cordiale que ce qu’on a pu découvrir avant. Il semblerait plus facile de filmer des gens parlant de leur passé plutôt que de filmer ces gens-là dans leur présent.
Le film s’éloigne parfois un peu trop du propos principal (traiter d’un sujet en 1h15 ne permet pas de nombreuses déviations). On s’écarte ainsi du Bella Vista pour se focaliser durant un bon moment sur une discussion où, face caméra, s’expriment un travesti marié ayant adopté un petit garçon, et la mère biologique de cet enfant, qui a du s’en séparer faute de moyens. Un passage émouvant mais qui se noie dans ses propres larmes et perd son spectateur.
Néanmoins, la structure reste intéressante, les liens qui s’établissent grâce, notamment, au maire du village, nous permettent de parcourir trois générations en un temps record. Et ça fonctionne, tant on semble nostalgique, et à l’étroit, dans ce lieu et dans ce film qui ne respirent jamais.

Prochain départ : Tunisie

« La vie d’Aïda bascule en même temps que la Tunisie du 14 janvier porteuse d’espoirs. Elle fait fi des événements et poursuit son parcours atypique de femme effrontée et rejetée, dans cet intense intervalle qu’est la révolution d’un pays. » : voilà le synopsis sur lequel on est tombé en feuilletant le flyer du Festival. On y est donc allés.
Comme nous l’affirme Hinde Boujemaa, la réalisatrice de C’était mieux demain, à la fin de la projection de son film, Aïda n’est en rien une marginale. Si notre premier regard la perçoit d’emblée comme une femme atypique, elle ne représente en réalité rien d’autre que ce que vivent des milliers de Tunisiens depuis le départ de Ben Ali et la révolution.
Ce qui marque dans le documentaire de Hinde Boujemaa, c’est la manière avec laquelle elle traite d’événements actuels et historiques qui englobent toute une société. Cette société, elle la représente à travers l’individualisation. Aïda est le symbole des angoisses qui parcourent les rues de Tunis, et des affres du pouvoir. On vit tous les problèmes à travers ses yeux à elle. Aïda nous semble animée d’une force incroyable, mais ce courage apparent n’est-il pas plutôt un devoir de survie ? Car Aïda doit survivre, trouver un endroit où squatter, puis un autre, et s’occuper de son fils, retardé mentalement et difficile à vivre. Sa vie est rythmée par l’attente. Les heures ne sont rien, ce sont des mois à s’armer de patience face à l’administration.
 

On s’attache à cette femme, à ses forces et faiblesses, à sa manière de rester droite. Ses confidences ne sont jamais de trop, la caméra reste toujours à sa place. Les secrets d’Aïda sont émouvants mais n’accusent aucune pitié. Quand elle s’énerve contre les policiers, quand elle dit qu’elle est loin d’être forte, bien au contraire, qu’elle est trop faible pour tout ça, nous restons bouche bée devant une telle bravoure.
Quand la réalisatrice nous parle de son film, elle nous fait savoir qu’elle a filmé énormément de choses à Tunis, mais qu’elle s’est retrouvée happée par Aïda et par l’ampleur des problèmes et souffrances liés au système administratif. Quand elle s’est retrouvée en salle de montage, elle a choisi d’isoler de plus en plus Aïda. Les scènes de foule existent, elles sont peu nombreuses mais marquantes ; le bruit qui émane de la foule, surtout, nous reste en tête quelques temps et complète la seule voix d’Aïda.
Tout ce qu’on aurait pu voir mais qu’on ne voit pas et qu’on imagine en off, c’est tout ce que la réalisatrice n’avait pas le droit de filmer. De toute évidence, ça a été très compliqué avec le Ministère de la Justice. Mais à certains moments, Hinde Boujemaa a eu de la chance, et c’est ainsi que l’on peut assister, vers la fin du film, à une scène fort intéressante montrant Aïda en prison, entourée d’autres femmes. Hinde Boujemaa, avec ce film, souhaite ouvrir les yeux des gens, leur regard sur la Tunisie. C’est un film qui peut casser certains tabous et faire découvrir beaucoup de choses sur le système tunisien, sur les révolutions. A la fin de la projection, la réalisatrice nous l’affirme : elle assume les problèmes techniques que le spectateur est amené à rencontrer durant le film (au niveau du cadre et de la saturation du son, notamment). Elle dit elle-même qu’au montage, instinctivement, elle et son monteur « jetaient » toute la matière handicapée par les problèmes techniques. Mais elle s’est vite rendue compte qu’elle ne pouvait procéder ainsi, car elle mettait alors aux oubliettes des images indispensables à son histoire, à sa narration. C’est ainsi que l’on peut voir, au cours du film, cette scène très marquante où Aïda fait la queue et s’acharne pour obtenir des explications face à l’administration. La saturation du son est insupportable mais la scène, cruciale.
Le tournage de ce documentaire a duré un an et demi. La réalisatrice a passé ces un an et demi sans regarder aucun rush de son film. Pourtant, ce que ces yeux ont pu voir n’ont pas cessé de nous surprendre.

Petite escale en Palestine

Dans The Road to Silverstone, de Johan Eriksson, on suit le parcours passionnant d’une bande de jeunes étudiants (il y a même deux femmes !) de Gaza, accompagnés de leur professeur. Lorsque le film commence, ils viennent de finir la conception et la construction d’une voiture de course qu’ils souhaitent voir concourir sur le célèbre circuit de Silverstone. Tandis que de nombreuses autres universités ont construit leur voiture de course à l’aide de technologies de pointe, les étudiants de Gaza ont construit la leur avec des matériaux recyclés. Ils ne jouent pas sur le même terrain mais vont finalement se défier sur le même circuit. Mais pour les jeunes gens de Gaza, il ne s’agit pas tant de concurrence que d’un projet à défendre. Pour eux, cette course constitue une étape grâce à laquelle ils veulent se faire voir et entendre, parler de leurs possibilités, qui sont différentes de celles de leurs voisins de course. Cette étape-là constitue une amorce quant aux changements et à l’avenir de tout un pays. En réalisant ce projet, ils ont en tête l’implantation d’industries, d’entreprises, dans leur pays, en commençant par exemple par des constructeurs automobiles, pour lancer l’économie. Ils le répètent : ils ont passé des jours et des nuits, sur des semaines entières, à construire cette voiture. Aucun d’entre eux n’avait auparavant quitté Gaza. C’est le sort de très nombreux Palestiniens : l’impossibilité de quitter leur pays. Certains d’entre eux comparent Gaza à un « camp de concentration » ou à une « prison en plein air » (2). Le visa de Mohammed, un des leaders de la bande, ne lui permet pas de passer la frontière égyptienne. Il doit retourner à Gaza et décider si l’équipe continue sans lui ou pas. Ce n’est pas sans émotions qu’il leur dit d’aller de l’avant, d’atteindre leur objectif depuis si longtemps fixé.
The Road to Silverstone aurait pu être un concept d’émission TV. Une téléréalité sur ces jeunes talents palestiniens extraordinaires, dont on suit le parcours semé d’embûches et parcouru d’émotions (la frénésie du départ, l’abandon d’un des leurs, …). Mais heureusement, ce n’est pas le cas, et il reste un saisissant documentaire.

Avant-dernière étape : entre la Somalie et l’Allemagne

Le capitaine et son pirate, d’Andy Wolf, raconte, au présent, la prise d’otages subie par un cargo allemand durant quatre mois au large des côtes somaliennes. A travers le film nous suivons en parallèle le capitaine allemand, l’otage, et le pirate somalien, le ravisseur. Chacun nous raconte son point de vue sur ce fait, plus tragique que divers, qui s’est rapidement transformé en syndrome de Stockholm : les deux hommes, que tout opposait, se sont liés d’amitié.
Voilà un documentaire saisissant qui nous questionne à plusieurs niveaux. Andy Wolf a chargé un jeune somalien qui habitait en Allemagne de prendre contact avec les clans de pirates somaliens. Mais, lors de la vision du film, on se demande comment le réalisateur a réussi à s’immiscer et à prendre part de si près aux activités de groupes des pirates somaliens. On s’interroge sur la manière dont il a approché le pirate somalien, à le convaincre de tout lui raconter, à le persuader de la présence de la caméra.
 

Dans ce documentaire, la technique ne prend pas de place. On pose la caméra et on laisse vivre. Revivre plutôt. Ainsi en parallèle, on voit la progression de cette histoire digne des plus grandes fictions, de par son ôté tragique et de par la situation, ce lien qui se crée entre deux êtres humains que rien, ni la géographie ni les aléas de la vie, ne prédestinait à se faire rencontrer. Entre un vieux capitaine allemand, fatigué à force de thérapies, et un jeune pirate somalien, dont le regard ressemble à un bain de sang, pourtant, quelque chose va naître. Un respect, une compréhension réciproques.
Un film vibrant et sincère, qui fait frissonner son spectateur de bout en bout, tant cela ne semble pas être réel.

Terminus : Kinshasa

Dans Kinshasa Mboka té, Douglas Ntimasiemi et Raffi Aghekian, réalisateur belgo-arménien, filment les coins oubliés de la cité de Kinshasa et suivent également l’artiste plasticien Freddy Tsimba. Voilà un documentaire vivant où le spectateur découvre le contraste entre la vie et la dureté de ces rues. Le montage réussit à faire coexister différents tons comme celui de la violence, avec les kulunas, qui sont des délinquants armés de machettes qui agressent ou tuent pour l’argent. Mais il y a aussi le ton de la modernité, avec Moliere TV, qui est une chaîne de télévision proche du peuple, où les habitants de Kinshasa peuvent observer leur réalité via ce nouvel écran. A leur tour, ils sont confrontés aux images, à leurs propres images. Car, quand il y a un souci, les habitants appellent Moliere TV et, très souvent, l’équipe de télévision arrive sur les lieux avant même la police. La chaîne de télévision filme alors les agresseurs, ceux qu’on accuse, et c’est au peuple de le juger face caméra. Une nouvelle manière d’appréhender la violence et la justice du peuple. En les filmant, ils essaient de décourager le phénomène, il y a un fort impact, un contrôle social.
Voilà donc l’artiste Freddy Tsimba, dont l’oeuvre n’est pas tant cynique que profondément réaliste. Cet artiste travaille depuis vingt ans sur la thématique de la paix. Il va créer une nouvelle œuvre : en soudant mille machettes, il construit une maison. Ceux qui utilisent les armes pour faire du mal, Freddy Tsimba les utilisent pour construire une maison de la paix. C’est tellement symbolique que, lorsque l’oeuvre de l’artiste est placée en plein cœur de la cité, la réaction des habitants de Kinshasa n’est pas mitigée. Ils ne comprennent pas et son énervés, ils ont besoin d’explications de la part de l’artiste.
En montrant ainsi, en parallèle et dans une même cité, de quelle manière l’art et la télévision peuvent s’unir pour faire face à la violence, Kinshasa Mboka Té permet au spectateur de porter un autre regard sur cette ville dont on ne sait trop rien.

Rien de mieux qu’un festival tel que le Millenium Festival pour ouvrir l’esprit du spectateur citadin englué à tout un monde de probables interrogations.

Pour plus d’informations sur la remise des prix, rendez-vous sur le site du festival www.festivalmillenium.org/.

(1) A World not Ours, de Mahdi Fleifel, Liban, 2012.
(2) loralucero.wordpress.com/2013/03/11/the-road-to-silverstone/
 


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