Humour et malice
Le comique provient aussi du personnage de producteur fauché et fantasque interprété par Vittorio Caprioli, acteur très éprouvé, lui, et ayant réalisé une double carrière française et italienne, ayant joué dans 109 films, notamment dans moult comédies, chez De Broca, Zidi, Oury, Risi, mais aussi Godard, Rossellini, Bertolucci ou Fellini. Sans aucun moyen et sans jamais payer ses équipes, le producteur dirige ici des publicités grotesques, comme celle déclarant que « même au Pôle Nord, on a besoin d’un réfrigérateur« . Par un coup de théâtre loufoque, on retrouvera ce producteur désargenté et cyclothymique sur l’île de Beauté en compagnie de notre trio ! Le montagne souligne le côté burlesque de ce personnage, comme lorsque un élargissement du plan illustre à quel point ce producteur de pacotille est sans le sou ; la révélation de son bureau plus que minuscule et modique accompagnant son refus d’y recevoir Michel Lambert.
Un autre personnage tient du burlesque : celui du séducteur italien, apparaissant d’on ne sait où pour s’attirer les faveurs de Liliane. Dans une scène de séduction plus que caricaturale, tout s’y trouvera : coucher de soleil, vue idyllique, et même sérénade douceâtre dans la langue d’origine de ce coureur de jupon inattendu.
Ces saillies comiques répétées et cette légèreté d’ensemble rendent le film de Rozier plutôt sucré.
« On dirait deux midinettes, y a quand même des choses plus importantes«
Cette impression de départ peut cependant se révéler trompeuse. Si Rozier avait au départ imaginé une comédie musicale intitulée « Embrassez-nous ce soir » centrée sur le trio composé de Michel, Juliette et Liliane, il a mélangé cette ébauche avec le scénario écrit par sa compagne Michèle O’Glor, qui, lui, se concentrait sur les dernières semaines d’un jeune appelé en Algérie.
En raison de la censure, le mot « Algérie » ne pouvait pas être prononcé dans le film. Il est donc suggéré, de temps en temps, par petites touches et sous-entendus, implicitement.
Seul un carton initial indique que nous sommes en 1960 – sixième année de la guerre d’Algérie -, puis survient un personnage, Dédé, revenu de la guerre d’Algérie, qui reste taciturne et n’en dit « rien » lors d’un repas chez la famille de Michel. On parle lors de ce repas d’une voiture trop chère, de la lune et des chinois pêle-mêle, mais sur l’Algérie, pas un mot. La guerre fait l’objet d’un tabou têtu, et on préfère inciter les jeunes à danser et consommer sans trop réfléchir surtout – le film, finalement, sans en avoir l’air, en dit long.
« Je viens de recevoir ma feuille » expédie sinon Michel aux deux jeunes filles qui l’accompagnent. Très fugacement, insidieusement presque, le départ de Michel pour la guerre d’Algérie s’approche et devient de plus en plus imminent. Évidemment, « Adieu Philippine » en acquiert une toute autre couleur. La sucrerie se charge tout à coup d’amertume ; et on peut en effet, si on regarde bien, surprendre un peu de tristesse, brièvement, à l’occasion d’un regard, d’une expression ou d’une inflexion de voix.
Tandis que le départ s’approche, la bande-son devient d’ailleurs plus mélancolique, voire déchirante. On retiendra la belle rengaine de la chanteuse corse Maguy Zanni, ainsi que que le chant du sud de la Corse évoquant le départ au régiment, « U lio di roccapina », tandis que Juliette et Liliane courent en agitant leur mouchoir pour dire au revoir – ou adieu – à Michel.