Benoît Forgeard, diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts et du Studio des Arts contemporains du Fresnoy, s’est fait connaître rapidement par de nombreux courts métrages diffusés sur France 2 et Canal +, tous produits par Ecce Films. Puis viennent deux longs métrages, Réussir sa vie en 2012 et Gaz de France en 2016, sélectionné au Festival de Cannes pour l’ACID. Son troisième long métrage, présenté cette année en film de clôture de la Quinzaine des Réalisateurs, lui a donné l’occasion de monter les célèbres marches, avec les acteurs du film, et Yves le frigo intelligent. C’est dire si cet objet pas si farfelu que ça a le même statut d’acteur dans le film que l’excellent William Lebghil, ou Doria Tillier et Philippe Katerine pour ne citer qu’eux. Après 2001, l’Odyssée de l’espace, I.A., Her, voire eXistenZ et quelques autres, le cinéma sur l’intelligence artificielle est devenu un genre en soi, comme les films de vampires ou de zombies et leurs variantes.
Un film à la Kubrick, froid mais rigolo
Mais le réalisateur a donné à son Yves quelque chose en plus, qui confère à l’objet fribot une humanité qui va à contresens de l’angoisse que génèrent normalement les films qui traitent des algorithmes et des robots. Cet élément, c’est la comédie sentimentale. Idéalement, un frigo intelligent qui parle, qui sait presque tout de vous, qui vous fait les courses et prépare la cuisine semble conçu exclusivement pour un rappeur adepte du Carrément rien à branler, ce rap entraînant qui devient le mantra de tout ce film, et qui en ravira plus d’un. Tout y est réussi, de la palette graphique et des couleurs au design des objets robotisés qui culminent dans la séquence de l’Eurovision des objets intelligents, sans parler bien sûr de la musique et de la direction d’acteurs.
Rire avec les algorithmes
Benoît Forgeard a réussi son pari : faire sourire et rire, mais aussi rêver d’amour, avec un thème particulièrement angoissant, celui de la robotique surtout que cette intelligence artificielle n’est plus du domaine de la science-fiction mais a envahi nos vies, si bien que la révolte des Gilets jaunes lui apparaît comme une manière anarchiste de revendiquer l’humain au coeur de la gestion algorithmique de la politique actuelle, incarné par Emmanuel Macron, et dépourvu de toute âme dépassant même le clivage gauche-droite habituel. Alors, si le futur nous angoisse, rions-en, détournons les codes du cinéma avec une fin à la 9 semaines 1/2 d’Adrian Lyne. N’oublions pas cette assertion entendue dans un bistrot par le réalisateur et qu’il rapporte dans le dossier de presse : « Attention, il ne faut pas que le robot devienne trop intelligent non plus, parce que sinon il voudra plus rien foutre. »