Werner Herzog et les mots

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Deux livres. Un journal intime et un recueil d´entretiens. « Conquête de l´inutile » et « Manuel de survie ». Deux titres représentatifs de l´oeuvre du cinéaste allemand Werner Herzog. Deux importantes publications qui donnent quelques indices sur l´un des artistes les plus intrigants de sa génération.

L’entretien est effectué par Hervé Aubron et Emmanuel Burdeau, tandis que le journal intime fut rédigé durant le tournage de Fitzcarraldo, film-fleuve sur le rêve d’un mégalomane fou d’opéra et de gigantisme. Présenté comme cela, on pourrait ressentir de la froideur, quelque chose qui oscillerait entre les grands écarts de la ténébreuse affaire de styles (celle qui épouse parfaitement les codes de l’amertume), et surtout la redondance d’un quotidien morne et foutraque. Voir un film de Werner Herzog, c’est se réfugier dans une aventure humaine aussi belle que le mot de Cambronne. L’auteur filme sans états d’âme en vociférant un implacable « merde » à tous ceux qui aiment dorloter le doux et paisible ronflement de l’ennui. Il faut s’accrocher, ne pas bouger au risque de perdre la vue, de perdre le fil d’une histoire qui va et vient sans se soucier de la logique narrative. Herzog éructe, parle, hurle et met en scène des peurs, celles qui prennent les gamins en les tyrannisant jusqu’à l’âge d’adulte. Toute la vie en somme.

Ces deux objets littéraires sont dépourvus de lignes inutiles. Tout se concentre autour du ressenti. Herzog ne se dévoile pas comme le ferait une star en mal de médiatisation, il fonce tête baissée vers une alchimie de mots et de maux qui vrombissent autour d’une spirale meurtrière. La réalité diffuse dans ces milliers de kilomètres de pellicules est le reflet d’un désir inavoué de mordre la mort et de la rendre flexible. La filmographie d’Herzog, comme le souligne Emmanuel Burdeau, est empreinte d’un sacré désir de se fondre dans une foule de zombies. Côtoyer le spectre, lui parler, lui prêter ses songes quitte à se dénuder devant ces tas d’immondices. Herzog ne craint pas la mort, il a tout simplement peur des travers du désordre. La vie, selon lui, n’est faite que pour l’échange, quitte à se faire violence, à se poser continuellement des questions, à caresser les injustices et autres flagorneries.

Manuel de Survie est un condensé de bruit et de fureur. D’anecdotes sanguinolentes en diatribes mortuaires, Herzog place sa verve sur une colline où les hommes ne sont plus égarés. Lorsqu’il raconte qu’il faillit mourir d’une balle tirée par un déséquilibré, c’est tout un pan de son cinéma qui refait surface, celui d’une inquiétante étrangeté qui, avec Kaspar Hauser, Aguirre et Cobra Verde resplendit continuellement. Dans Conquête de l’inutile, Herzog perd la boule et tente d’assassiner les pages blanches de son carnet, en jetant des lignes fantomatiques où la peur au ventre est conséquente. Herzog applique sans retenue cet adage du critique de cinéma Tahar Kessi : « Je pourrais toujours trimballer un peu de paperasse pour faire des langes à mes poèmes. Ils chieront des sons rauques aux oreilles des potentats ».  Une beauté maléfique !


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