Engagement et poésie
Le jeune Marignanais installé au Canada emprunte malicieusement à la mythologie mitterrandienne le titre du livre que Pierre Péan avait consacré à la vie tumultueuse et étonnante de François Mitterrand, le dernier pharaon. En effet, Jérémie Battaglia, à travers ses films, interroge le rapport complexe entre le corps et la société : performance, image de soi, endurance et pression sociale façonnent ses personnages. Qu’ils soient athlètes, artistes ou jeunes en quête d’identité, tous se débattent avec des normes qui les dépassent. Son cinéma, porté par un regard à la fois intime et puissant, oscille entre engagement social et poésie visuelle. On citera ainsi Adonis en 2024, La somme de nos rêves en 2022 et, entre autres, Parfaites en 2016 et le film d’animation, Le frère, en 2020.
Du côté de Lunel
Pour ce nouveau documentaire, Une jeunesse française, il nous entraîne dans le monde mystérieux et quasi mythique des raseteurs qu’il est allé ausculter du côté de Lunel, cette petite ville entre Montpellier et Nîmes où l’islamisme intégriste fait des ravages. Mais de quoi s’agit-il ? On l’aura compris en voyant l’affiche : de taureaux et de la Camargue, cette zone entre les deux bras du Rhône qui a su conserver ses traditions taurines, sociétales et ancestrales autour du culte des chevaux, des gardians et des biau (taureaux en occitan) comme on dit là-bas. Un pays qui avait fasciné Noël Howard lorsqu’il y réalisa en 1962 le film devenu mythique, avec Johnny Hallyday, D’où viens-tu Johnny ? Seul western français à ma connaissance, le film eut au moins le mérite de lancer la mode de la Camargue et tous ses accessoires et Pierre Barouh, acteur et auteur interprète qui, avec Johnny, avait fait fondre en ces années-là le cœur de milliers de midinettes.
Raseter pour s’intégrer
Ici, dans ce nouveau documentaire, le mythe persiste mais a pris du plomb dans l’aile. Jérémie Battaglia va suivre deux jeunes Maghrébins issus de l’immigration, photogéniques, charismatiques, et pourtant bien différents : le ténébreux Belka qui marche sur les pas de son père qui fut aussi raseteur et le tendre et sérieux Jawad qui se dit français à part entière avant d’être marocain. À travers ces deux personnages que le réalisateur suit à la trace dans leur vie de tous les jours et leurs courses libres, on voit se dessiner le combat des jeunes Arabes français pour tenir leur place dans la société française alors qu’elle leur est souvent refusée. Mais de quoi s’agit-il ? De courses de taureaux mais que les âmes sensibles se rassurent : les bêtes ne sont pas mises à mort comme dans les corridas. Depuis la nuit des temps, ou presque, dans toutes les arènes tout autour de la Camargue, on fait courir des taureaux pour honorer leur force et leur puissance comme dans l’Antiquité et des jeunes ou moins jeunes gens, vêtus de blanc, doivent courir après eux en les frôlant (en les rasant, d’où le nom de raseteurs) pour arracher la cocarde entre leurs cornes qui leur permettra de gagner l’argent que le public et les notables ont misé sur les bêtes pour juger de leur force et du courage de la jeunesse. Ce n’est pas vraiment un travail mais c’est une spécialité pénible et dangereuse qui n’attire plus les jeunes du cru. C’est ainsi que les jeunes Maghrébins s’en s’ont fait une spécialité qui leur permet de retrouver la considération de leurs pairs. Comme le dit si bien Belka dans le film : « Demain, je sors, je suis une personne quelconque. Et dans l’arène, on va te regarder comme si tu es un footballeur, en fait. T’as des gens qui te regardent que toi, qui t’applaudissent. C’est ce que je retrouve en piste que je n’ai pas connu dans la vie. »
Un combat pour la reconnaissance
Un très beau film qui vous donnera peut-être envie de découvrir cette région âpre et accueillante à la fois et que le réalisateur a bien défendu dans sa note d’intention : « Dans les médias français, il existe un imaginaire tenace sur les jeunes hommes français d’origine maghrébine : voyous, radicalisés, violents… Ils seraient tous problématiques, dangereux, porteurs d’une culture et de valeurs jugées incompatibles avec la société française, tout en subissant l’injonction absurde et injuste de devoir constamment prouver leur attachement à la France — alors même qu’ils y sont nés et y ont grandi. Cette stigmatisation, amplifiée par les attentats de 2015, m’a poussé à vouloir réaliser ce film. Je voulais un film qui réhumanise la figure du jeune homme maghrébin, constamment déshumanisée par les discours dominants. Je souhaitais montrer une autre réalité : celle de jeunes gens ordinaires, aux aspirations simples et universelles. Des jeunes hommes qui utilisent leur corps comme un outil d’élévation sociale. »