Une affaire de famille

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Une palme en forme de consécration pour un cinéaste qui a su s’imposer par sa délicate modestie.

De retour des courses qu’ils ont magistralement dérobées dans un supermarché, Osamu et son garçonnet Shota recueillent pour la nuit une fillette qui errait dans les rues. Alors que les différents membres du foyer conviennent de retrouver les parents de l’enfant, ils découvrent la maltraitance dont cette dernière est victime. Ils ne voient alors plus qu’une seule solution : intégrer Juri comme énième membre de leur famille pas comme les autres. Il ne faut pas s’attendre à une révolution de palais avec Kore-Eda. Tant mieux ! Tant le metteur en scène japonais maîtrise l’art de la nuance. Aussi bien sur le registre des sentiments que sur celui des points de vue. A partir d’un canevas maintes fois travaillé dans sa riche filmographie, Une affaire de famille bouscule délicatement les lignes artificielles et fragiles censées protéger notre conscience.

 

 

Solidarité imposée

Il reste peu d’espace disponible dans l’insalubre maisonnette pour accueillir la nouvelle venue. En retrait dans un premier temps, Juri va progressivement trouver sa place parmi les pièces rapportées de ce singulier puzzle familial. Une famille composée d’une grand-mère et de sa petite fille, d’un couple illégitime et d’un gamin abandonné par les siens. La cohabitation apparaît comme la moins pénible des solutions dans un contexte économique et social sans pitié pour les plus fragiles.

Une banlieue sans âme, des habitants qui savent, par solidarité ou par intérêt, fermés les yeux devant les entorses à la règle : tous les ingrédients semblent réunis pour un Ken Loach à la sauce nippone. Juste en apparence. Bien heureusement ! Kore-Eda, lui, ne cherche jamais à forcer l’empathie par des ressorts scénaristiques démonstratifs ou par un quelconque goût pour des discours pontifiants. Dans la période actuelle où des biens pensants de tout bord n’hésitent pas à s’auto-qualifier d’humaniste pour nous faire la leçon, Kore-Eda observe sans moralisme la complexité d’une société qui se vide de ses repères séculaires.

L’exiguïté des lieux, la cohabitation forcée, comme dans Tel Père et tel fils et Après la tempête, pour ne citer qu’eux, Kore-Eda retrouve ici son terrain de prédilection, En digne héritier d’Ozu, le réalisateur s’invite sans bousculer le cours du temps au sein de l’intimité feutrée du foyer japonais. A l’instar d’une caméra qui se veut discrète, la mise en scène s’efface au profit des longs dialogues parfaitement ciselés. Les portraits s’épaississent par petites touches. Au moment où les personnages semblent s’être totalement mis à nu devant nous, de nouvelles ombres viennent troubler notre perception. L’âme humaine dans toute sa complexité.

 

 

Miroir sans teint

L’apparente douceur qui sous tend le récit nous ferait oublier la gravité des événements. Il s’agit ni plus ni moins d’un kidnapping, auquel vient s’ajouter le passé criminel du couple. L’irruption des enquêteurs de police semble nous entraîner plus radicalement vers le polar. Mais, comme dans The Third Murder, son œuvre précédente, Kore-Eda utilise les conventions scénaristiques du genre comme un simple fil conducteur. La procédure policière reste essentiellement hors-champ, faisant fi de la cohérence et du réalisme des rebondissements. Les scènes d’interrogatoire dépassent la simple anatomie des motivations délictuelles pour nous placer frontalement face à des questions existentielles et urgentes.

Durant le troublant finale de Third Murder, les visages de l’accusé et du flic fusionnaient dans la vitre censée séparer le bien du mal. Dans Une affaire de famille, en plan large, seule dans la cadre, la prisonnière explore les affres de sa schizophrénie. Consciente de notre présence sentencieuse de l’autre côté de l’écran, elle interroge notre responsabilité de parent, au sens large du terme. A l’heure où le dogmatisme libéral et son indissociable individualisme exacerbent nos besoins et nos désirs de protection, sommes-nous en mesure de dessiner nos propres repères familiaux ?

Titre original : Manbiki kazoku

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Durée : 121 mn


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