Sans filtre

Article écrit par

Retour sur la Palme d’or du Festival de Cannes 2022.

En parlant de croisière, il y a celle que nous propose le Suédois Ruben Östlund, déjà palmé d’or à Cannes en 2017 pour son décapant The Square, magnifique satire sur le monde de l’art contemporain qui en a fait s’étouffer certains et pas de rire. Il remet le couvert en compétition avec son nouveau film, Triangle of Sadnessvous comprendrez pourquoi en voyant le film -, traduit en français par un titre aux gros sabots bien sûr, Sans filtre. Et, à la surprise générale, le jury présidé par Vincent Lindon lui a décerné la Palme d’or. Un grand progrès par rapport à la Palme de l’année dernière même si, encore une fois, on se demande si le Prix récompense vraiment le cinéma et pas seulement la provocation et le scandale. C’est un film en trois parties qui commence très fort puisqu’il attaque frontalement le monde de la mode et son esclavagisme des mannequins masculins. Le début est très rock and roll et semble aussi cynique que The Square dans la description de la vacuité de notre monde et de ses mondains snobs, en fait seulement vulgaires. La première partie, après avoir brossé le tableau de la société dans laquelle il va nous immerger, les ultra-riches pour résumer, nous propose un hilarant – mais particulièrement réussi – repas entre Karl le mannequin et sa petite-amie botoxée, Yaya, influenceuse en vogue. Cette séquence comique touche bien sa cible. La deuxième partie consiste en la description d’une croisière dans un yacht pour milliardaires à laquelle participent Karl et Yaya qui y a été invitée pour en faire la promo sur son Instagram riche en followers. Ruben Östlund ressemble de plus en plus à un moderne La Rochefoucauld dans sa manière acide de dépeindre ses contemporains. La tempête va aider à casser l’ambiance cosy de cette croisière en dévoilant les mesquineries et les vomis de ces riches, le tout scandé par les citations de Marx débitées dans le micro de bord par un capitaine marxiste et un multimilliardaire russe, et s’achèvera par un lancer de grenade terroriste qui détruire le yacht, devenu une sorte de Titanic de pacotille. La troisième partie nous montre les rescapés du naufrage, dont Karl et Yaya, sur une île qu’ils croient déserte. Les subalternes, quant а eux, pensent avoir pris le pouvoir, mais l’île cache un autre secret qui ne rend pas le film très optimiste. On rit beaucoup, c’est vraiment très provoc, même si le réalisateur n’a pas peur de forcer un peu trop le trait. Ce qui est surtout gênant finalement, c’est la longueur du film (2h20) qui le rend parfois un peu lourdingue et lui fait perdre de son sel et rater sa cible. Télérama se demande si c’est une satire politique hilarante ou un pétard mouillé. On serait tenté de répondre : les deux monseigneur. En tout cas, un petit vent de révolte semble monter du côté des cinéastes. C’est aussi ce que dénonçait d’ailleurs le deuxième jour du festival, mais en des termes plus choisis, James Gray lors de sa conférence de presse : « Regardez le monde. Que s’est-il passé ? Comment en est-on arrivé au point où deux personnes possèdent tout, où une poignée d’autocrates tente de s’emparer de la planète ? »

Titre original : Triangle of Sadness

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Genre :

Pays :

Durée : 140 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Carlo Lizzani : un cinéaste de conviction à réhabiliter

Carlo Lizzani : un cinéaste de conviction à réhabiliter

Le cinéma transalpin est jalonné de francs-tireurs forgés tout du long par une intime conviction de la réalité socio-historique de leur pays. Carlo Lizzani est de ceux-là qui se fit un devoir de débusquer l’hydre du fascisme dans nombre de ses films. La cinémathèque lui rend un hommage appuyé du 2 mai au 24 mai. L’occasion de faire découvrir et réhabiliter un cinéaste militant consacré par ses pairs. Focus sur « La chronique des pauvres amants qui lui valut le prix international du Jury à cannes en 1954…

Le Pianiste

Le Pianiste

Comment survivre dans le ghetto de Varsovie, ensuite vidé par les nazis en 1942-1943, puis vivre coupé du monde après pendant des mois: c’est ce que montre le film de Roman Polanski à partir de l’expérience du pianiste Władysław Szpilman dans un film aussi bouleversant qu’éclairant sur la nature profonde de l’humanité.