Il y a dans le cinéma de Mike Flanagan (Mirror, Jessie, Doctor Sleep) une rare humanité et une tristesse assez singulière dans le paysage horrifique contemporain . Sa série réalisée en 2018 pour Netflix, The Haunting of Hill House, en était la plus éclatante manifestation, tant l’exploration dépressive et noire du récit de la famille Crain avait assis son statut de nouvel auteur talentueux ; tout en lui permettant de toucher un plus large public. Et c’est avec The Haunting of Bly Manor, nouvelle saison de cette série devenue anthologique – puisqu’il ne s’agit plus de suivre les Crain mais bien de découvrir les Wingrave – que Flanagan revient hanter nos nuits.
Adaptée du Tour d’Ecrou de Henry James ainsi que de sa virtuose première adaptation cinématographique Les Innocents de Jack Clayton, l’histoire est celle d’une jeune femme engagée comme nouvelle gouvernante de deux jeunes enfants habitant un manoir où d’étranges événements ont lieu…
Et si cette fois Flanagan ne réalise que le premier épisode, il ne faut pas pour autant douter de l’empreinte du cinéaste américain sur cette dernière production Netflix tant The Haunting of Bly Manor transpire toutes les problématiques propres à son auteur, et en particulier son approche du genre. En effet, là où les fantômes de Hill House étaient les manifestations des traumas de ses personnages principaux (famille dysfonctionnelle, séparation, addictions…), Bly Manor, en reprenant toutefois la structure de son aîné, vient plutôt peindre les obscures facettes de l’amour et l’étroite relation que celui-ci entretient avec la possession, littéralement. La manipulation, donc, de l’être aimé, la projection sur l’autre de ce que l’on veut qu’il soit, la part sombre en chacun de nous ou encore le deuil, la culpabilité et l’enfermement sont autant de possibilités pour Flanagan d’invocations de fantômes et de démons, manifestations de nos peurs les plus profondes. Cette exploration thématique se fera donc à travers tout un imaginaire du cinéma horrifique relu avec une tristesse et une puissance d’évocation assez sidérante et bouleversante. Ces neufs épisodes lorgnent donc, de manière encore plus transparente que Hill House vers le drame intimiste, impression renforcée par l’adoucissement de la technicité et de la virtuosité baroque de cette même première saison, pour laisser se déployer l’émotion. Une horreur plus diffuse et discrète, donc, mais pas moins efficace.
Les papillons noirs de cette seconde saison témoignent ainsi de la grande intelligence d’adaptation que représente Bly Manor via sa capacité à dégager le potentiel émotionnel sidérant du roman et du film desquels sa série est tirée, lui permettant ainsi de s’éloigner du matériau de base pour construire une mythologie passionnante, riche et profondément émouvante. Parce que des libertés, Flanagan en prend, et celles-ci lui permettent d’explorer des cheminements émotionnels passionnants tout en traçant un enjeu formel tout à fait excitant dans son traitement de la temporalité et du montage. La technicité du filmage et la virtuosité opératique de The Haunting of Hill House – que le cinéaste réalisait intégralement – sont ainsi mis de côté au profit d’une déambulation temporelle et onirique où les souvenirs et les rêves se confondent à partir d’une mi-saison où une fracture narrative assez précise s’opère.
Mais soyons tout à fait honnête : The Haunting of Bly Manor n’est pas non plus sans défaut ; notamment le jeu de Victoria Pedretti qui semble perdre de sa justesse à partir de cette mi-saison ou encore un manque de moyen qui rend certaines séquences plastiquement un peu grossières. Cependant, Flanagan réussit son coup en adoucissant sa virtuosité stylistique un peu démonstrative de la première saison en faveur d’une émotion d’une grande finesse qui rappelle qu’au fond, c’est bel et bien nous qui créons nos propres fantômes.