Pandora

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Un film rare et mythique, l’un des plus beaux rôles d’Ava Gardner.

À la fin de l’été 1930, un corps est retrouvé sur la côte espagnole. L’oncle Geoffrey raconte… Pandora Reynolds (Ava Gardner) est une belle chanteuse américaine, adulée de tous. Mettant ses prétendants à l’épreuve, elle demande par exemple à Stephen Cameron, un pilote automobile britannique, de jeter sa voiture du haut de la falaise. En échange, elle lui fait une promesse de mariage. Intriguée par un yacht appartenant à un certain Hendrick van der Zee (James Mason), elle s’y rend à la nage. Ce dernier n’est autre que le Hollandais volant, un marin maudit condamné à naviguer éternellement, autorisé à ne vivre une vie humaine que six mois tous les sept ans. À moins qu’une femme n’accepte de mourir par amour pour lui…
Film mythique s’il en est, Pandora demeure encore aujourd’hui unique en son genre. Un des mariages les plus réussis entre sophistication intellectuelle, esthétique flamboyante et émotion à fleur de peau. C’est également le film qui consacra définitivement l’icône Ava Gardner, qui trouvait là son meilleur rôle (avec La Comtesse aux pieds nus de Joseph Mankiewicz, 1954) et en voyait son existence et sa carrière bouleversées. Suite au tournage, l’Espagne et l’Angleterre allaient devenir des secondes patries pour elle qui ne s’était jamais totalement sentie intégrée à Hollywood – ses rôles suivants la cantonnant désormais souvent aux héroïnes métissées et aux tournages aux quatre coins du monde, dont entre autres celui du légendaire Mogambo (John Ford, 1953).

L’extrême richesse et la profondeur de l’histoire pourraient laisser croire que le script serait adapté d’un livre, or il n’en est rien dans la mesure où tout est ici issu de l’imagination d’Albert Lewin, profondément investi dans l’entreprise puisqu’ici scénariste, réalisateur et producteur des suites du refus de la MGM de participer au film. Réalisateur au parcours atypique, Lewin a toujours été une figure à part dans le paysage de l’âge d’or hollywoodien. Passionné de poésie et de littérature (il publia un roman en fin de carrière, The Unaltered Cat, 1966, ainsi que des poésies dans sa jeunesse, qu’il jugeait médiocres), il effectue de brillantes études à Harvard puis, suite à une rencontre avec l’un de ses fondateurs Samuel Goldwyn, intègre la MGM au détour des années 1920. Il y gravira lentement tous les échelons, apprenant les ficelles du métier en occupant tour à tour les postes de lecteur de scénario, script doctor puis scénariste à part entière avant la consécration lorsque Irving Thalberg, haut responsable du studio, en fera son bras droit. Cependant, son image d’intellectuel le suivra tout au long de ce parcours, au point qu’un collaborateur lui dira à ses débuts qu’il n’a aucun avenir dans le cinéma, car trop cultivé. Sa courte filmographie de six films témoignera effectivement de cette sensibilité avec The Moon and Sixpence (1942), évocation de la vie du peintre Gauguin, Le Portrait de Dorian Gray (1945), adapté d’Oscar Wilde, ou encore The Private Affairs of Bel Ami (1947), d’après Guy de Maupassant.
Scénario original, Pandora poursuit donc dans cette voie ambitieuse puisque mélangeant rien moins que le mythe grec de la boîte de Pandore et celui nordique du Hollandais volant (remis au goût du jour par la franchise Pirates des Caraïbes) dans une version inspirée de la relecture qu’en fit Wagner pour son opéra Le Vaisseau fantôme (1843) – d’où son nom Van der Zee, « De la mer » en néerlandais -, le tout se déroulant dans le cadre moderne des années 1930. On l’aura compris, nous naviguons là dans une atmosphère très sophistiquée et littéraire (soulignée par des dialogues pleins d’emphase) où l’on sent poindre un auteur se faisant une très haute idée de ce qu’il raconte, laissant ainsi craindre un récit pompeux et abscons.

Lewin évite pourtant tous ces écueils, parvenant à livrer un spectacle embrasé par l’amour fou et la passion. Le cadre côtier du petit port espagnol d’Esperanza donne une tonalité inédite à une forme de récit plus aisément associée au fantastique gothique anglo-saxon, apportant une ambiance sensuelle de désir toute latine et méditerranéenne. Cette ambiance est véhiculée par Ava Gardner ; la boîte de Pandore, c’est elle, et tous les personnages masculins fous d’amour pour elle viendront s’y perdre sans espoir de retour. Indifférente et cruelle au début de l’histoire, sa beauté va en s’embellissant au fur et à mesure que le film avance et qu’elle découvre enfin l’amour aux côtés du Hollandais volant. Ce dernier est formidablement campé par un ténébreux James Mason, dans la lignée des héros de Lewin, élégant, torturé et désabusé. L’alchimie entre les deux fonctionne idéalement entre la passion ardente de l’une et la mélancolie de l’autre, avec à la clé le plus beau et poignant dilemme qui soit, le Hollandais ne pouvant se résoudre à demander à Pandora de mourir pour le sauver de sa malédiction.

 

En véritable esthète connu pour sa minutie, Albert Lewin offre un spectacle visuellement somptueux à la hauteur de son intrigue. Porté par la photographie prodigieuse de Jack Cardiff, Pandora propose, en isolant les personnages dans des superbes compositions de plans, des visions baroques et majestueuses inspirées des peintures de Magritte et de De Chirico (à qui un hommage est rendu avec la peinture réalisée pour le film), le tout alternant avec des cadrages expressionnistes inspirés de Orson Welles mettant en avant les silhouettes et les visages de manière saisissante. La grande bénéficiaire de ce traitement, c’est bien évidemment Ava Gardner, qui irradie littéralement l’écran. Son visage étant régulièrement cadré dans des gros plans voilés d’un halo, sa beauté irréelle s’en trouve renforcée, la portant au rang de déesse n’appartenant pas au monde des hommes. De même, plus le film avance, plus ses tenues se font extravagantes et antiques, la caméra suivant amoureusement ses déambulations langoureuses.

 

Parmi les séquences les plus réussies, on peut citer l’entrevue sur la plage des deux amants entourés de statues antiques en marge d’une soirée jet set, qui offre une belle vision entre aspect mythologique et décadence moderne. De même, ce fabuleux flashback fiévreux durant lequel se révèle l’identité du Hollandais volant, ou bien sûr cette conclusion poignante répondant à l’ouverture nous montrant Ava Gardner arrivant nue sur le ponton du bateau de son amant. Rarement la passion aura été aussi bien exprimée à l’écran. Échec commercial à sa sortie, démoli par les critiques le qualifiant de prétentieux, Pandora aura néanmoins gagné avec le temps son statut de chef-d’œuvre pour demeurer aujourd’hui l’un des plus beaux représentants du genre romanesque.

Titre original : Pandora and the Flying Dutchman

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Durée : 122 mn


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