Rapt

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En adaptant librement la véritable histoire du baron Empain, Lucas Belvaux livre un film dur et délicat à la fois. D´une maitrise impressionnante.

D’emblée, une cavalcade. Une enfilade de plans très mobiles, muets : cet homme brun, sec, autoritaire, ce « président Graff », on le devine important. Pressé. Et d’ailleurs, la caméra lui court après, essoufflée. Un tourbillon qui, pourtant, dès le générique d’ouverture du film, est menacé. Par deux fois, le mot « rapt », brutal, barre l’image et brise le mouvement du personnage. Nous voilà avertis. Saisis aussi. Densité, pertinence, distance : tout ce que l’on aime chez Lucas Belvaux se met en place dans cette exposition.

La suite – d’une intensité sans faille – confirmera, parfois avec âpreté, parfois dans l’émotion, le sens de l’équilibre de ce cinéaste captivant. Une fois encore, il s’attaque à un sujet conséquent : l’aventure, ô combien troublante et forte, d’un homme qui a tout et qui, du jour au lendemain, se retrouve dépossédé de ce tout illusoire. Et une fois encore, il choisit l’épure, aidé en cela – chose plus rare, en revanche, dans sa filmographie – par une stylisation visuelle (dominantes sombres, froides) d’autant plus juste qu’elle écarte définitivement l’anecdote. De fait, si Rapt, libre adaptation de l’histoire du baron Empain (l’action a été transposée de 1978 à 2009), impressionne d’abord, c’est parce qu’elle n’est à aucun moment suspecte de démonstration. Pas de gras, pas de surenchère.

Tenue irréprochable

Que ce soit, en premier lieu, du côté des kidnappeurs : jamais Belvaux ne cherche à les glorifier. Hommes dangereux, dominateurs, âpres au gain. Fripouilles déplaisantes dont on discerne mal les visages, quand bien même leurs façons de sidérer leur otage – leur proie – diffèrent. Que ce soit du côté des grands bourgeois, également, ceux-là mêmes qui tiennent lieu de famille au président Graff : leur pragmatisme et leur « morale » (quand ils découvrent sa double vie) vont tout autant le laminer : à leur façon – métaphorique si l’on veut –, eux aussi s’emploient à le mutiler, puis à l’exécuter. Ou que ce soit, enfin, du côté des enquêteurs : là encore, le traitement des policiers, toujours en costard, aussi respectueux que logiques et implacables, étonne, détone, convainc. Attention : nulle neutralité lissante, voire affadissante cependant, dans cette « tenue irréprochable », tout au long de ces 2h05 ! Ça n’est évidemment pas rien de montrer la souffrance – les scènes de détention – sans verser dans le dolorisme. Ni d’opposer à la barbarie des ravisseurs (qui lui coupent un doigt) la passivité impénétrable – donc digne – de l’otage.

Au fond, outre cette tension impeccable, assez glaçante, ce qui séduit et bouleverse, in fine, dans le nouvel opus de Belvaux, c’est qu’il soit parvenu à faire un film aussi responsable tandis qu’il interroge, précisément, la notion même de responsabilité. La justesse de son casting y est pour beaucoup. D’autant plus que son cinéma, s’il agite des idées, des débats, n’est  certainement pas cérébral, mais profondément incarné au contraire, attaché à ses personnages… qu’il suit au plus près. Or donc, Yvan Attal, que l’on n’attendait pas dans ce rôle d’homme de pouvoir – à l’opposé physique d’Empain, évidemment – lui donne une vérité assez bluffante. Son engagement (au-delà de son amaigrissement spectaculaire mais nécessaire) est d’une telle densité qu’il force le respect tout en créant simultanément une sorte de malaise. Très juste. Parallèlement à sa solitude réelle et symbolique, son isolement terrifiant, la prestance, voire l’arrogance de sa famille, de son milieu professionnel sont extrêmement bien rendus par Françoise Fabian, André Marcon, Alex Descas, ou Anne Consigny : en quelques regards, gestes, postures ou échanges, ils imposent les codes de leur caste. Leur… délicate brutalité. Un oxymore qui vaut pour l’ensemble du film, en effet.

Titre original : Rapt

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Durée : 125 mn


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