Quitter la nuit

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Des profondeurs de la nuit à la mise à plat du jour

Espace confiné, jeu de tension

Une petite route de campagne, la nuit. Anna, passagère, appelle sa sœur au téléphone. À l’autre bout du fil, Aly, policière. Aly comprends qu’Anna est en danger et qu’elle ne peut pas parler. Entre les lignes, elle parvient à identifier la localisation de la voiture pour faire intervenir la police. Cette nuit, Daryl, le conducteur, a violé Anna. Le film sera alors le récit de la procédure judiciaire jusqu’à la condamnation de Daryl. La scène d’introduction est filmée du point de vue de la policière. Si elle est construit selon un montage alterné, passant de la voiture au service téléphonique de la police, la caméra placée à l’intérieur de la voiture ne nous permet pas de saisir autre chose que ce que la policière comprend au fur et à mesure : ouverture dans le vif, sans contexte, gros plans trop abstraits pour rendre lisibles les visages, extérieur qui se limite à une route, des phares et quelques arbres, et conducteur réduit à ses rares interventions colériques. La compréhension des éléments – localisation, motif de la plainte, modèle de la voiture – évolue en parallèle du risque de plus en plus grand que le conducteur découvre la supercherie. La cinéaste déroule ainsi une tension particulièrement efficace, associant l’expérience du spectateur à celle de la policière qui réalise qu’elle a une situation grave entre les mains. D’une situation dont on ne perçoit pas tout de suite la violence – le conducteur est calme, la passagère a accès à son téléphone – et d’un coup de fil qui ressemble d’abord à une erreur, la peur surgit soudain lorsque les réponses subliminales d’Anna coïncident avec les questions de la policière.

Exhaustivité et non-choix

Passée cette introduction, que Delphine Girard a repris de son court-métrage Une sœur réalisé en 2018, le film se tranquillise, passant du temps court de l’évènement traumatique au temps long de la procédure judiciaire : l’enquête, l’attente, le procès. Introduit par une scène qui se caractérisait pas ses nombreux trous, – le contexte, le lieu, les personnages – le film recherche désormais l’exhaustivité. Les flashbacks, pour comprendre le contexte de l’agression, la répartition de temps de présence à l’écran à égalité entre le violeur et la victime, la sororité, la résilience, les dysfonctionnements de l’institution judiciaire. En l’absence de choix forts, le film effleure en permanence son sujet, ses personnages. À l’image de la photographie grisâtre et peu contrastée, c’est une mise à plat qui s’opère. À la fin de la séquence d’introduction, la policière au téléphone est très émue, et après qu’Anna est raccrochée, elle va suivre de près son dossier jusqu’à venir à sa rencontre au moment du procès. Alliance sensible entre des femmes du fait de leur condition de genre, la réalisatrice semble avoir conscience des limites matérialistes de la sororité, lorsqu’elle place Anna face à une policière dont la formulation des questions cherche à mettre en doute sa version de l’histoire. « Moi, je suis là pour vous aider » dit-elle, et tout de suite, cette hypothèse naissante sur une dualité entre deux déterminants parfois contradictoires – elle est une femme, mais elle est aussi flic – est évacuée. L’exhaustivité est notre maître à penser, donc vite, vite, il faut passer à la suite. De la même façon, la croyance inconditionnelle de la mère du violeur en l’innocence de son fils semble faire sujet lorsqu’il lui admet sa culpabilité à l’issu du procès et qu’elle crie qu’elle ne veut rien savoir. Mais c’est tout. On effleure, on caresse, on reste en surface. Constamment, le film établit des postulats pris d’abord comme la simple nature des choses – la sororité, l’amour d’une mère pour son fils –, puis introduit le début d’une faille en rupture avec cette vision essentialiste, avant de finalement passer à une autre thématique.

La barbe, la carrure, la voix grave et l’avarice en paroles de Daryl ainsi que les appartements de banlieue provinciale rappellent un autre film français sur un déchaînement de violence masculine, Jusqu’à la garde. La construction du film, porté par une tension subtile aboutissant à un climax quasi-irrespirable, justifiait l’air d’ours de Denis Menochet, comme une créature malfaisante de conte. Ici l’apparence et le jeu de Guillaume Duhesme, constamment sur le fil d’une bascule vers l’éclat, apparaît bien plus comme un non-choix. Ses pores transpirent la violence, il a la tête de l’emploi. Nouvelle naturalisation, discrète certes, mais symptomatique des choix effectués dans le film, des rapports de force : il a l’air méchant donc il est méchant, et tout le film l’acteur joue celui qui a violé parce qu’il est méchant. C’est dans les gènes du personnages : dépolitisation des rapports de genre. À l’issu du procès, alors qu’il a passé toute le film dans le déni, il se rend chez Anna pour présenter ses excuses. Il frappe à la porte. Elle ne répond pas. Il insiste. Le gros plan ininterrompu sur son visage, les éclats de voix et les coups sur la porte, font renaître la tension du début. Y compris dans ses tentatives d’excuse, il reconduit un comportement violent. Alors que pointe le début d’un regard spécifique sur les hommes, la violence non comme une pulsion endormie mais disséminée dans toutes les relations sociales, le film reste timide. Anna ouvre la porte, le regard, il comprend, et s’en va. Amorce d’une singularité de regard, puis désamorçage par l’antithèse, le programme d’exhaustivité du film lui interdit toute personnalité.

Titre original : Quitter la nuit

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Durée : 108 mn


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