Qui a tué le chat?

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Après “l’argent de la vieille”(1972) et avant “le grand embouteillage”(1979), Luigi Comencini se commet dans une satire implacable qui vise à débrouiller l’écheveau des travers de la société de son temps. Sous le vernis de la farce à l’absurde déjanté s’écaille une vision lucide et décomplexée. Décapant.

Le(s) chat(s), puissant(s) et doux, orgueil(s) de la maison.” Charles Baudelaire

La nuit tous les chats sont gris…

Contre-plongée sur une façade d’immeuble décatie d’un quartier de Rome sur laquelle se déroule le
générique. Cut. Un bref panoramique balaie le toit supposé du bâtiment pour découvrir à l’extrémité d’un toit bardé d’antennes, un greffier faisant le gros dos en équilibre sur une corniche. Un long plan-séquence s’ensuit qui s’attache aux pérégrinations du félidé. Dès potron-minet, se jouant des obstacles croisés sur son chemin, le chat s’insinue dans l’intimité des appartements de plusieurs locataires ; suscitant de leur part un accueil mitigé. Il est pris pour cible à plusieurs reprises. Enfin, il surgit, un poisson dans la gueule, à la vue de ses maîtres putatifs : un couple improbable et putassier, Amédéo (Ugo Tognazzi) en bigoudis & Ophélia (Marieangela Melato), qui s’étripent copieusement avec
une poêle à frire pour un morceau de mortadelle. Cut.

 

 

Affreux, seuls, (cupides) et méchants

Amédéo et Ophélia, respectivement frère et soeur, ont hérité de leurs parents un immeuble insalubre en copropriétés qui affiche sa déréliction comme ses propriétaires dépourvus du moindre état d’âme. Un promoteur immobilier lorgne le bien qu’il est disposé à acquérir coûte que coûte et pour la bagatelle d’un milliard de lires si le couple avide et peu scrupuleux, façon Thénardier moderne, parvient à en déloger leurs locataires encombrants et indisciplinés et qui rechignent pour nombre d’entre eux à payer leurs termes.

D’une rapacité sans limites, les deux horribles bailleurs poursuivent sans relâche les occupants de leurs assiduités. Ceux-ci se vengent sur le félin facétieux qui entrave leurs faits et gestes avec la dernière indiscrétion. Le chat hante l’immeuble, qui tel une mascotte, qui telle une éminence grise indésirable, cible désignée de toutes les insatisfactions, de toutes les persécutions mesquines et de tous les outrages infligés par les tenanciers peu amènes et volontiers intrigants et madrés. Au point que la charogne du chat est retrouvée sans vie, lestée de plombs. Le couple honni de tous les colocataires mandate un commissaire totalement inepte et inopérant à la manière de l’inspecteur Clouzeau, l’inénarrable Michel Galabru, aux fins de découvrir l’identité du mystérieux dézingueur de chat.

Fenêtre sur cour

Avec cette histoire de chat sur un toit brûlant qui n’a ni queue ni tête mais qui tient en haleine, Luigi Comencini
signe une comédie à l’italienne très noire et aux rouages grinçants comme ceux de l’immeuble en question. Une
“fenêtre sur cour” qui ne laisse rien passer des travers sociétaux des mœurs débridés des classes sociales de l’Italie de la fin des années 70 dans un registre voyeuriste éhonté. Rien ne nous est épargné dans ce regard caustique démultiplié par les jumelles introspectives d’Amédéo scrutant son horizon limité au prétexte qu’il veut confondre les tueurs de son chat alors que lui-même et sa soeur, outrancièrement refoulés qu’ils sont, s’ingénient à contraindre leurs locataires pour qu’ils vident les lieux fissa et permettent la captation du jackpot immobilier.

 

Enquête sur des locataires au-dessus de tout soupçon

Intriguant tant et plus, nos deux ignobles compères remontent la filière étroite du meurtre de leur félidé
qui les conduit à confondre les activités souterraines de leurs colocataires.

Ainsi, l’animatrice d’un club d’amateurs de jeu d’échecs aux apparences vertueuses se révèle n’être autre qu’une
redoutable pétroleuse tenancière de bordel. Un couple supposé s’adonner à la musique de chambre l’utilise comme façade d’un trafic de drogues aux ramifications insoupçonnées. Une secrétaire, peu regardante sur les moyens, utilise ses charmes pour exploiter un filon lucratif de chantage d’un réseau politico-financier de prévaricateurs. Une sordide histoire d’homosexualité dont un laquais, pédéraste hystérique, est la première victime expiatoire débouche sur le démantèlement d’un cartel mafieux.

Un pur produit dérivé des “nouveaux monstres”

C’est un pur produit dérivé des “nouveaux monstres” que Comencini nous concocte dans une dénonciation féroce
des ressorts du genre policier “giallo” qui fait alors fureur. La farce loufoque bascule dans l’enquête policière scabreuse pour le plaisir du spectateur.

La comédie à l’italienne en vogue depuis les années 50 marque le pas voire s’essouffle passablement. Les réalisateurs transalpins ne se paient ni de mots ni d’images suggestives et évocatrices qui n’hésitent pas à recourir au voyeurisme le plus cru tout en le pimentant d’érotisme soft pour revigorer le genre. Comencini touille ces ingrédients dans cette
“enquête de citoyens au-dessus de tout soupçon”. Les protagonistes du film le disputent en duplicité. Les embardées de la satire sont féroces, roboratives et d’un macabre réjouissant. Amédéo et Ophélia sont déplaisants à souhait et c’est ce ressort comique qui crée toute la dynamique du récit. Grossir le trait de personnages jusqu’à la caricature est
un artifice de mise en scène qui s’affranchit de tous les codes du genre pourvu que le but de divertir soit atteint.
La comédie à l’italienne sombre peu à peu dans une surenchère de séquences lascivement dénudées comme si elle lorgnait de plus en plus vers la vulgarité affichée pour se trouver un sas de sortie. Le réalisateur du Casanova, un adolescent à Venise, intègre sans en faire étalage cette dépravation des moeurs comme une composante naturelle de son époque.

Amédéo qui courtise Wanda, la locataire nymphomane, répète comme un mantra: “Je suis seul, sexuellement
sain et ferai ce qui me plaît” tandis qu’ Ophélia est parcourue pudiquement de “secousses vasomotrices” pour qualifier ses poussées de chaleurs. Le film est porté tout entier par le couple Tognazzi- Melato un peu à la façon d’un spectacle de Guignol animé par les doigts du réalisateur de “Pinocchio” où les volées de bâtons et les rodomontades pleuvent sans coup férir mais aussi pour faire rire tant la charge reste d’une implacable férocité.

Titre original : Il gatto

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Durée : 109 mn


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