Queen of Earth

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Amitiés morbides et crise de nerfs dans le nouveau Alex Ross Perry, drame claustro un peu appuyé.

Le nouveau film d’Alex Ross Perry, jeune cinéaste doué – et qui le sait – à qui l’on doit The Color Wheel (2012) et Listen Up Philip (sorti en début d’année), vient chercher pour la première fois du côté des références cinématographiques plus que littéraires. Là où la touche de Philip Roth et Thomas Pynchon abondait dans ses précédents longs, extrêmement lettrés et gentiment snobs, c’est ici plutôt Fassbinder et Bergman qui viennent à l’esprit. Des Larmes amères de Petra van Kant (1972), que Perry a regardé pendant l’écriture de Queen of Earth, ou de Persona (1966), auquel on pense souvent, le réalisateur semble avoir extrait l’écorce émotionnelle – des femmes seules, dans un environnement isolé et en lutte avec elle-même, avec les autres ; et ici, comme dans Persona, entre elles. Alex Ross Perry cite aussi, en dossier de presse, Intérieurs de Woody Allen, qui n’était “pas du tout ce qu’on attendait de (lui) à ce moment-là”. Perry marche donc également dans les pas de Allen, qu’on a souvent cité en parlant de ses deux premiers films, voulant faire montre de la même audace en rompant avec le style qu’on pouvait lui attribuer depuis The Color Wheel – du mumblecore littéraire en noir et blanc un peu autosatisfait, en somme.

Queen Of Earth, qui n’est pas une comédie, ne vient pas tout à fait changer la donne, film abouti mais un peu trop conscient de ses effets. Le film s’ouvre sur le visage défait, baigné de larmes et de mascara, de Catherine (Elizabeth Moss, la Peggy Olson de Mad Men), qui vient de se faire quitter par son mec. Elle implore, elle jure, elle hurle, elle insulte et, déjà, Perry la filme de très près, cadre refermé sur son visage que la caméra ne quitte pas. Pas de champ-contrechamp pour estomper le côté anxiogène de la scène, on reste avec Catherine. Tout le film sera ainsi, à ses côtés (mais pas forcément de son côté), en gros plan sur son visage où passe tous les nuages du monde. Car Catherine, invitée par sa meilleure amie Virginia (Katherine Waterston, la révélation de Inherent Vice (P.T. Anderson, 2014)) à passer une semaine dans sa maison de campagne, va entrer dans une dépression lente et inexorable dans laquelle crise de nerfs, misanthropie et état animal se disputent les restes de la tristesse occasionnée par la rupture.

 

Le petit ami de Virginia débarque, et Catherine mute en bête misanthrope totale, asphyxiée par la simple idée que quelqu’un d’autre puisse être heureux ou équilibré. C’est ce glissement progressif que Perry enregistre brillamment, plus intéressé par le danger que peut représenter le désespoir qui mue en agression. En une subtile alternance entre moment présent et flashbacks de la même période un an auparavant, quand Catherine baignait dans la romance et que Virginia venait elle-même d’être quittée, le film met en avant la cruauté presque sans limite que peut engendrer l’amitié – on sait bien plus comment faire mal à ceux qu’on aime qu’à ceux qu’on ne connaît pas. Queen of Earth ménage trop son ambiance de thriller, accompagné de grandes nappes musicales angoissantes, pour être tout à fait honnête, mais le climat délétère qu’il distille reste assez impressionnant. La tension, ici, est quasi physique, et ne se relâche pas jusqu’à un final en forme de climax qui évacue toute forme de résolution. Et Elizabeth Moss, définitivement l’une des actrices les plus interessantes de sa génération, est extraordinaire.

Titre original : Queen of Earth

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Durée : 90 mn


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