On fonctionnera ici dans le registre de la chronique où l’on découvre les arcanes et le fonctionnement de ce ministère à travers le regard du nouveau venu joué par Raphaël Personnaz en charge du « langage », même si le fil rouge sera la rédaction et la prononciation du fameux discours de De Villepin/Lhermitte à l’ONU à la fin du film. Le comique fonctionnera autant dans le fonctionnement chaotique et désorganisé du Quai d’Orsay que des personnalités hautes en couleur qui le parcourent. En premier lieu, un Thierry Lhermitte qui trouve son meilleur rôle depuis des lustres avec ce ministre flamboyant, égocentrique et adepte du monologue grandiloquent. Il est bien entouré par des collaborateurs tout aussi azimutés, l’hystérie ambiante étant toujours atténuée par un Niels Arestrup à contre-emploi en éminence grise calme et posée, résolvant les problèmes en coulisse et sachant caresser le ministre dans le sens du poil. Personnaz, (révélé par Tavernier dans La Princesse de Montpensier) toujours dans la réaction face à cette bande d’allumés, est génial de timing comique, tout en mines ahuries et n’a aucun mal à exister au milieu de tous ces cabots égocentriques. Le rire fonctionne sur cette notion d’excès, également par les idées visuelles du réalisateur comme l’écho qui précède les arrivées tonitruantes de Lhermitte en ébullition, le tourbillon de papiers et les portes qui claquent à ses passages, qui amènent une énergie de screwball comedy bienvenue. Les dialogues savoureux servent aussi toujours le propos notamment les tordantes envolées sur les Stabilos ou les citations d’Héraclite (celles-ci ponctuent tout le film) qui traduisent pourtant bien l’anxiété du ministre.
La grande qualité de Quai d’Orsay est d’avoir une vision drôle sans tomber dans la satire ou le cynisme, tout ce petit monde étant parfaitement compétent et capable de vraie grandeur, que ce soit dans la ligne toujours claire de Lhermitte (une indépendance gaullienne à l’opposé de l’atlantisme récent de la diplomatie française) malgré toutes ses extravagances, qui aboutira au discours final, ou l’épisode en Afrique où il s’expose physiquement pour stopper sur place un embryon de guerre civile (toutes les péripéties reprises de la BD s’inspirant de faits réels). Entre les pratiques inattendues (on en apprendra de belles sur le système des questions à l’Assemblée nationale téléguidée à l’avance) et le fonctionnement surprenant (pas d’internet au Ministère par crainte de fuite, l’intrigue se déroulant en 2002/2003), Tavernier informe tout en amusant constamment. Le réalisateur avoue s’être grandement inspiré du film anglais In the Loop (2009) d’Armando Iannucci mais plutôt que la pure farce de ce dernier, on pense plus à l’excellent La Guerre selon Charles Wilson (Mike Nichols, 2007), avec ce même portrait d’un politique bouffon, extravagant mais réellement concerné. Du coup, le rythme est assez étonnant, guidé par les événements plus que par les personnages et on s’inscrit dans le quotidien du cabinet constamment sur le qui-vive mais sans céder à une hystérie qui ferait sortir la comédie de son cadre réaliste. Entre chaque écart et moment de folie s’intercalent des respirations bienvenues grâce au personnage d’Arestrup, son calme et ses siestes, ou les scènes intimes entre Personnaz et sa petite amie Marina (Anaïs Demoustier). Une comédie sachant se moquer de nos politiques sans les ridiculiser, montrant leurs travers sans négliger leurs compétences. C’est en somme typique du cinéma de Bertrand Tavernier, souvent porteur d’espoir dans ses œuvres les plus positives.