La première partie du film est un modèle du genre de par sa rigueur et son réalisme. L’inspecteur Mangin (Gérard Depardieu), à coups de roublardise, d’intimidation et d’interrogatoire musclé, remonte la piste d’un trafic de drogue dont l’un des pontes est acoquiné à la mystérieuse Noria (Sophie Marceau). Tout dans ce segment du récit respire l’authenticité, notamment le sentiment d’attente régnant au sein du commissariat, qui est autant dû aux lourdeurs administratives qu’à la volonté des policiers de faire mariner les suspects qu’ils cuisinent. Là aussi les interrogatoires oscillent entre prise au piège du suspect voyant les preuves accablantes se cumuler et explosions de violence les acculant et les faisant vaciller. Sophie Marceau en fera les frais, poussée à bout par Pialat lors de sa scène d’interrogatoire où Gérard Depardieu lui assènera de vraies gifles, méthode assez radicale qui rendra en tous cas le malaise visible à l’écran en aboutissant sur une séquence d’une intensité incroyable. Le monde de la rue est traité avec le même souci de véracité, avec ces paumés ordinaires (Sandrine Bonnaire dans un petit rôle de prostituée) et cette première couche du grand banditisme représentée par des immigrants tunisiens. Les limites semblent donc bien établies mais l’amitié entre l’inspecteur Mangin et maître Lambert, un avocat de truands incarné par Richard Anconina, démontre pourtant que les frontières entre le légal et l’illégal sont plus ténues. Après la rigueur qui a précédé, Pialat ose ainsi une seconde partie à la trame bien plus lâche, où l’exploration des fêlures de ses personnages l’intéresse bien plus que le réalisme de sa trame policière.
Tous les personnages reposent sur une dualité qui les rend insaisissables et donc humains, leur faisant dépasser leur simple fonction de policiers ou de voyous. Mangin, capable du machisme le plus balourd, peut s’avérer un être vulnérable, sa sensibilité à fleur de peau explosant par exemple lors d’une incroyable scène d’amour en voiture avec Sophie Marceau – dans son meilleur rôle et de loin. Cette dernière, de par ses actes, a tous les atours de la femme fatale, mais la froideur de ses calculs et de ses mensonges s’effondrera lorsqu’elle succombera, sincèrement, au charme rude de Mangin. Tous deux, paumés, transcendent leurs archétypes par leur amour, Pialat osant les rebondissements les plus improbables en préférant nourrir la dimension romanesque du récit (la scène d’amour en plein commissariat) plutôt que son réalisme. Si Police sera le modèle de nombre de polars « documentaires » à venir – L.627 (1992) de Bertrand Tavernier, le référencé Polisse (2011) de Maïwenn -, les successeurs s’avéreront bien plus rigoureux et le film de Pialat décevra si l’on est vraiment venu y chercher l’exactitude. À l’inverse, le mélodrame et le sentiment d’inéluctable emportent au final le morceau puisque même si les barrières sont floues, le rapprochement est impossible pour ces personnages qui sont tous au bord du précipice. Entre solitude et mort en sursis, Mangin et Noria se seront néanmoins, dans un moment d’abandon, brièvement autorisés à s’aimer, au-delà des lois du milieu.