Empreinte fantômatique
Le début du film qui voit Maureen se rendre dans la demeure vide du défunt laisse s’instaurer une atmosphère prometteuse : dans cette intimidante maison parisienne campée au milieu d’un automne triste, la jeune femme se retrouve en tête à tête avec la présence immatérielle de son frère, dont elle attend un signe depuis l’au-delà. Retranchée une nuit dans cet endroit où tout mouvement est susceptible d’être interprété (un robinet qui coule, un plancher qui grince), Kristen Stewart laisse transparaître dans son jeu les tâtonnements psychiques de son personnage. Un glissement se produit, de son espoir flou de sentir un signe au déséquilibre double que cette quête produit : incertitude de ce qu’elle attend et incertitude anxieuse de ce qui pourrait se manifester. A partir de ce motif esthétique fort (la maison vide qui hante), le cinéaste réussit à créer une zone d’instabilité assez bien traduite par le montage visuel et sonore, qui personnalise la maison, jusqu’à cet effet de création d’ectoplasme bizarroïde au-dessus de Maureen. En faisant exister littéralement le fantôme, Olivier Assayas ne laisse plus planer le doute quant à l’orientation de son film. Hélas, ce dialogue avec les fantômes sera par la suite rapidement tué dans l’œuf.
Absence séraphique
A cette évanescence, le réalisateur joint la matérialité de la mode, du luxe, des vêtements et accessoires de haute couture que Maureen, personal shopper malgré elle, se charge d’acheter tous les jours pour sa riche cliente. C’est la robe à sequins argent qu’elle porte un jour, bravant l’interdit de sa patronne, les chaussures, qui la font être autre. Ce discours en arrière-plan sur le microcosme de la mode pâtit d’un manque de saillie dans sa mise en scène et d’une plongée ratée dans l’horreur (un meurtre vaudevillesque, un chantage par SMS). A ce titre, il se situe à l’opposé du brillant et détraqué The Neon Demon de Nicolas Winding Refn, également en compétition à Cannes cette année (et rentré bredouille comme la majorité des très bons films de la sélection). C’est assez problématique, pour un cinéaste qui a reçu le prix de la mise en scène, de livrer un film aussi illustratif, oiseux dans son approche, s’en tenant à l’aspect le plus artificiel de la mode, et dont le récit souffre de la même dispersion que Planétarium. Dans ce grand appartement de millionnaire inhabité où Maureen fait ses allers-retours, résidait pourtant la possibilité d’un parallèle avec l’ouverture du film et de son approfondissement. On sent bien que de ce décor austère et froid aux chromes bleutés, le cinéaste cherche à tirer quelque chose, essaye d’y agencer un lieu ouvert à l’incarnation séraphique, hélas impalpable. Le film demeure hermétique à créer une substance proprement cinématographique qui servirait son sujet. Jusque dans ces lourdes scènes d’échanges de SMS entre Maureen et son mystèrieux interlocuteur (à l’identité très vite pressentie), où l’instrument technologique, au lieu d’être exploité comme une interface pleine de possibles dans l’instauration d’un signe immatériel (qui aurait été représenté par son frère), n’est qu’un outil scénaristique éculé dans le processus de chantage. Il existe aujourd’hui des « détecteurs » de fantômes plus prompts à démanger l’esprit dans certaines applications pour téléphone.