Patagonia, el invierno

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Le film est pareil au paysage patagonien : froid, vide, sans affects.

Deux hommes se battent dans la neige patagonienne. Le plan large, en Cinémascope, les perd au fond d’un paysage vide de toute vie. Dans Patagonia, el invierno, la mise en scène se fait semblable à cette région de l’extrême-sud de l’Argentine : un vaste désert affectif.

Malheurs du misérabilisme

Loué dans de nombreux festivals, dont San Sebastian et Biarritz, pour sa manière de filmer l’austérité et la rudesse du climat, le premier long-métrage du réalisateur argentin Emiliano Torres déçoit à plus d’un titre. À commencer par son regard misérabiliste porté sur les classes laborieuses. La Patagonie, traditionnellement vaste espace d’élevage ovin, se divise entre quelques grands propriétaires, qui traitent leurs employés comme des moutons. Mais au lieu de montrer l’émergence d’une révolte, d’une indignation chez celles et ceux qui se font renvoyer sur un simple caprice du nouveau propriétaire, à l’instar du régisseur Evans (Alejandro Sieveking), mis à la porte après quarante ans de travail sur la même exploitation sans autre forme de procès, le scénario se concentre sur la déchéance et l’impuissance des prolétaires. Ainsi, aussitôt renvoyé, Evans sombre dans l’alcool ; pour sa part, sa sœur Laura apparaît systématiquement isolée dans sa cuisine, la tête à côté d’une ampoule nue, signe de sa condition modeste ; quant à Jaja (Cristian Salguero), le nouveau régisseur, il refuse de boire et de voir les putes comme ses collègues et s’échine au travail pour héberger secrètement sa famille.

De sorte qu’en voulant témoigner des existences brisées dont accouche le capitalisme latifundiaire, le film reproduit les clichés les plus sordides sur les classes pauvres. On croirait lire un Zola s’apitoyant sur ces malheureux ouvriers – le paternalisme en moins. Au moins chez Zola fusait un cri de détresse ; là, dans un cadre pathétique qui ne laisse aucune place au jeu expressif, l’humain rétrograde à l’objet. Moralement et politiquement, ce type de regard surplombant fait des ravages dans la représentation des classes populaires, car il leur assigne une posture de passivité qui les conduit à l’autodestruction, là où de nombreux films, à commencer par les documentaires sociaux, dont Merci Patron ! (François Ruffin, 2016) est un bon exemple, les placent dans un comportement actif et citoyen.

 

La mise en scène du vide

Durant tout le film, le cadrage hésite entre plans larges, volontairement contemplatifs, et plans resserrés, à hauteur d’homme : en découle un mol et inexpressif entre-deux, comme si Emiliano Torres n’avait pas su choisir entre la méditation post-romantique sur le vide et la chaleur des visages burinés. À l’image de cette bagarre sans âme, oubliée au fond d’un désert glacial, le film s’abîme dans des paysages désolés dont il se contente d’imiter la vacuité. Pourtant, de nombreux êtres peuplent la Patagonie ; mais dans son humeur dépressive, Patagonia, el invierno les assimile à autant de rochers sans vie. En ressort une œuvre plate, bêtement réaliste, qui ne parvient pas à bouger les lignes, car elle s’obstine à en fixer une : le lointain horizon. Les affects : voilà ce qui manque cruellement au film. Sans tension, sans dynamique, sans politisation du territoire patagonien, le film s’enfonce peu à peu dans la neige qu’il n’a cessé de contempler.

Titre original : Patagonia, el invierno

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Durée : 95 mn


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