Once Upon a Time… in Hollywood

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Le nouveau Tarantino surprend par sa virtuosité et, paradoxalement, son manque de concision.

Un hommage aux années 60 et à Hollywood

Le neuvième film de Quentin Tarantino, si l’on considère que Kill Bill 1 et Kill Bill 2 n’en font qu’un seul, était très attendu sur la Croisette, d’autant qu’il était en préparation depuis plus de deux ans, et que son montage n’était pas encore terminé. Et il sort en salles ce mercredi, étrangement, en plein cœur de l’été. Mais la réputation de Tarantino n’étant plus à faire, il trouvera sans doute son public, et au-delà. Certains critiques, et non des moindres, n’ont pas hésité à parler de son chef-d’œuvre. Une minorité a émis des réserves. Maintenant, il faut considérer, en premier lieu, cet opus comme l’aboutissement du long travail d’un cinéphile qui nous livre ici un film référentiel comme sait le faire, parfois, Woody Allen. Du reste, même si la comparaison est tentante, le titre lui-même fait appel à la fois au conte, et bien sûr à cette vaste usine à rêves américaine, Hollywood. Pourtant, il ne s’agit pas d’un conte de fées, loin de là. Bien sûr, Quentin Tarantino semble avoir mûri, son style s’est affirmé, malgré un scénario parfois un peu trop attendu, et quelques longueurs qui auraient pu être évitées et rendent parfois la narration un peu poussive. Mais le cinéma est toujours là, l’art moderne aussi en général, et le sadisme du réalisateur qui explosait de manière anarchique dans ses films précédents, est loin d’avoir disparu. Il s’est seulement transformé, et apparaît quelquefois de manière plus subtile, en référence, ou sous forme de citation, voire d’autocitation, ou en apothéose à la fin, comme pour prouver que Tarantino sera toujours Tarantino.

 

Filmer les corps dans leur légèreté

C’est d’abord un film sur la manière de filmer les corps, ceux adorables et adorés de Brad Pitt, Leonardo di Caprio et Margot Robbie, dans des situations de cinéma, de la fable et de la télévision. On observe un remarquable travail de mise en scène sur les décors, qui évoquent ceux de la fin des années 60, très vintage, nous remplissant de mélancolie pour un monde disparu, ce que rehausse l’utilisation de la musique, notamment celle de Simon & Garfunkel, Deep Purple, Neil Diamond, etc. mais aussi d’extraits, réels ou imaginaires, de cinéma. Comme à l’accoutumée, le film de Quentin Tarantino est très riche en références, musicalement certes, mais aussi en termes de blaxploitation et de kung-fu. Parfois, la caméra s’attarde un peu trop sur la braguette de Cliff Booth, interprété par un Brad Pitt au meilleur de sa forme et parfaitement crédible dans ce rôle de cascadeur. Certains y reconnaîtront bien sûr le plan de générique de la série télévisée de 1958, interprétée par Steve McQueen, Wanted : Dead or Alive (en français connue sous le titre Au nom de la loi), et qui cadrait sa braguette et son colt et que Quentin Tarantino, né en 1963, devait bien connaître. Du reste, Steve McQueen apparaît aussi dans le film, sous les traits de Damian Lewis, et on pense bien sûr que le personnage de Rick Dalton, révélé par une série télé de chasseurs de primes et interprété par un époustouflant Leonardo di Caprio, s’en inspire. Cette braguette fut d’ailleurs reprise par Andy Warhol pour une pochette de 33 tours des Rolling Stones, Sticky Fingers, en 1971. Andy Warhol est justement très présent dans le film, ne serait-ce que par l’intrusion des boîtes d’aliments pour le chien de Cliff Booth, au style très années 60 et qui évoque la série que l’artiste avait réalisée sous le titre Soupes Campbell pour montrer que l’art pouvait transformer les objets du quotidien en œuvres. Il en va de même pour l’humour puisque l’une des boîtes est parfumée au rat, comme dans un film de John Waters. Tout le film est d’ailleurs traversé par ces touches humoristiques, notamment via la satire de Bruce Lee, mais aussi par la mise en abyme de la télévision (au début du film, lors de l’interview de l’acteur et de sa doublure cascadeur) et du travail du comédien, notamment lorsque le visage de Rick Dalton apparaît en couverture de feu Mad. Voici pour l’humour et la distanciation brechtienne chers à Tarantino. Pour la mélancolie, il suffit de reconnaître le climax et les lumières à la Edward Hopper pour s’en persuader, en particulier lors des les scènes à l’intérieur de la caravane de Cliff Booth.

 

Le double comme symbole du cinéma

Parallèlement, tout le film traite du thème du double, et même de l’ambiguïté, sinon sexuelle, du moins affective, entre les deux personnages principaux. Ils sont doubles, puisqu’ils se complètent et pas seulement à l’écran. Il n’est pas dit que Tarantino n’ait pas pensé à David Lynch et son célèbre Mulholland Drive (David Lynch, 2001). Mais tout le film insiste aussi sur la mise en scène du double qui pourrait presque passer pour une nouvelle tentative de Huit et demi (Federico Fellini, 1963), même si le réalisateur en est absent, ne serait-ce que par cette manière de jouer avec les belles images du cinéma. Ainsi, nous l’avons dit, Steve McQueen apparaît sous les traits d’un jeune acteur, mais également Al Pacino en personne, parfaitement méconnaissable, et qui incarne le producteur Marvin Shwarz. Sans oublier Roman Polanski et la belle Sharon Tate, sous les traits respectivement de Rafal Zawierucha et Margot Robbie. L’histoire se déroulant pendant quelques mois de l’année 1969 à Hollywood, on pense en les voyant que le film de Tarantino sera une sorte de biopic romancé. Il n’en est rien bien évidemment, ce serait mal connaître le réalisateur américain. Les deux dernières scènes du film constituent le point d’acmé du style tarantinien, avec notamment un bain de sang en contrepoint de The Party (Blake Edwards, 1968). L’admirable Sharon Tate est par ailleurs très présente dans le film, puisque Tarantino l’imagine entrant dans la salle d’un cinéma pour se regarder jouer dans The Wrecking Crew (Matt Helm règle son comte, 1968) et en tirant un grand plaisir enfantin et narcissique, comme un beau contrepoint à La Rose pourpre du Caire (Woody Allen, 1985). D’autres films sont cités ou inventés, comme La Grande Evasion ou La Vallée des poupées. Même s’ils ne sont pas tous des chefs-d’œuvre, ils ont le mérite d’être le témoin de ces années-là, faites d’incertitude et d’insouciance.

 

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Durée : 161 mn


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