Omar Gatlato

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C’est une belle légende qui continue de surprendre. Omar Gatlato, c’est le titi algérois qui traine sa belle carcasse d’amant lunaire, un café goudron dans la main gauche et son transistor dans l’autre main. Au milieu, une pensée pour sa future bien-aimée…

Un jour, un ami journaliste me disait ces quelques phrases qui m’ont paru exagérées sur le coup : "Celui qui n’a jamais écouté Amar Ezzahi (chanteur de Châabi, genre musical algérien), accoudé à un mur, la cigarette aux lèvres et le café à la main tout en pensant amoureusement à sa copine, celui-là ne sait pas vivre !" La scène se passait dans la ville d’Alger, à la sortie d’une salle de cinéma. Omar Gatlato, premier long-métrage de Merzak Allouache, en était le film du jour. Dans l’instant présent, je n’avais pu saisir la portée de cet adage algérois. En revoyant le film, je compris très vite le sens de cette poésie urbaine. Ce jeune critique de cinéma, en prononçant ces quelques mots, voulait me donner la définition du quotidien algérois, du bonheur simple et de la quintessence d’une matinale. Ces petits trucs qui vous emplissent de joie lorsque vous les caressez. Le café et la cigarette du matin valent mieux que les richesses d’un roi. Omar Gatlato, c’est tout cela et rien d’autre.

 
Réalisé en 1976, durant la période Boumediene (président d’Algérie de 1965 à 1978) et en pleine crise pétrolière, Omar Gatlato va perturber le cinéma algérien, le rendant plus libre, plus inventif et surtout plus proche de la réalité. Depuis l’indépendance de 1962, les cinéastes ont orienté leur création vers une approche propagandiste, contrôlée par un financement étatique de plus en plus présent. Restriction des thèmes abordés, sabotage des envolées lyriques et surtout enfermement dans un formatage des plus pénibles. Certaines comédies prenaient le temps et la peine de poser quelques réflexions sur cette nouvelle vie sociétale. Des Vacances de l’inspecteur Tahar à Hassan Terro (avec le surprenant Rouiched), les auteurs prenaient un malin plaisir à dynamiter les imperfections d’une présidence qui réduisit les cris de liberté à des chuchotements actifs. Las des films sur la guerre de libération, une nouvelle génération de cinéastes bercés par le dynamisme des comédies italiennes (Le Pigeon de Mario Monicelli entre autres), et surtout par la désinvolture de la Nouvelle Vague, prirent le pouvoir au beau milieu des seventies. C’est dans ce contexte révolutionnaire que l’ancien coursier Merzak Allouache écrivit son premier scénario. Quelques historiettes sur un jeune algérois, fonctionnaire de son état, charismatique, bagarreur et surtout amoureux de la vie dans tous les sens du terme. Omar Gatlato était né !

Dès le premier plan, l’auteur nous plonge dans l’intimité du personnage-titre. Seul dans sa chambre, Omar finit de s’habiller. Il se présente, nous explique le sens de son surnom (Gatlato signifie « la virilité qui le tue » en arabe), et nous raconte quelques détails clés sur son enfance, ses parents, sa vie en somme. D’emblée, Omar nous est présenté comme un personnage banal, généreux et qui n’aspire qu’à une seule chose : posséder une grosse quantité d’enregistrements chaabi (musique populaire algéroise dont les principaux chanteurs sont El Anka, Guerouabi, Ezzahi et Chaou). Allouache sait exactement de quoi il parle, il est en quelque sorte un « Omar Gatlato » dans l’âme. Algérois, passionné de musiques traditionnelles et surtout féru de cinéma (italien et indien), l’auteur nous présente un homme qui pourrait être son frère jumeau. C’est pour cela qu’Omar se présente face à la caméra, qu’il joue le jeu du reportage, qu’il invite le spectateur à pénétrer dans sa bulle. Le film, dès les premières minutes, s’exprime à la première personne, un « je » qui ne s’entend pas mais qui se voit.

Plus loin, l’auteur nous entraîne dans le quotidien banal d’Omar. Entre le bus plein à craquer, les collègues de bureaux tous plus lunatiques les uns que les autres et les combines professionnelles, les journées de Gatlato se ressemblent toutes. Une scène importante doit être mentionnée car représentative des intentions du cinéaste. Dans le bus qui l’amène à son lieu de travail, Omar effleure par mégarde la main d’une jeune femme qui se tenait près de lui. Quelques secondes suffisent pour créer une gêne réciproque, qui suffit à ce que la jeune femme retire précipitamment sa main, confuse et rouge de honte. Plan court et remarquable, car toute la thématique du film se trouve dans ce geste, toute la tristesse d’un pauvre destin peut se lire dans cette main piégée.

Roy Armes, dans une analyse intéressante (Omar Gatlato, éditions L’Harmattan), convoque le thème de la frustration amoureuse. Il est souvent question d’un désir refoulé, d’une émotion interdite et d’un sentiment censuré, qui se traduisent dans le film par une incommunicabilité avec la famille, par des non-dits avec les amis et surtout par une intimité amoureuse invraisemblable. La société d’Omar Gatlato regorge de contradictions, d’intégrisme religieux et de cloisonnement. Omar ne peut s’affirmer en raison d’une trop grande sécheresse affective. En se confrontant à cette voix mystérieuse, c’est tout un schéma qu’il remet en cause, toute une idéologie qu’il tente de rejeter. La dépression est proche car ce ras-le-bol quotidien l’avale progressivement. Omar ne veut plus survivre, quitte à se démarquer définitivement de son passé. A ce moment-là, Allouache emmène son héros vers la confrontation ultime, la rencontre avec cette femme. La scène sera belle, juste et triste. Omar ne pourra retourner sa veste faute de courage et surtout faute d’avenir. Evidence omniprésente.
 

 
 

Trente années se sont écoulées depuis. L’Algérie a vécu des heures troubles et effrayantes. Guerre civile, inondations de Bab El Oued et tremblement de terre (2003) ont suffi à ébranler une conscience. La génération d’Omar est perdue et désillusionnée, celle qui suit est du même acabit. Quelques auteurs pointent du doigt les difficultés rencontrées par cette jeunesse déboussolée, mais rares sont les films de qualité. Quant à Merzak Allouache, il continue son bonhomme de chemin entre la France et l’Algérie, l’inspiration en moins. Difficile en effet de porter un certain intérêt pour ses dernières productions. Hormis quelques belles percées (Bab El Oued City et Salut Cousin) et un succès public surprenant, dû en partie à la popularité grandissante de l’humoriste Gad Elmaleh (Chouchou), Allouache étonne par la faiblesse de son point de vue mais aussi par la maladresse de ses réalisations. Quelque chose en lui semble brisé, voire effacé. Où sont passés les rêves de jeunesse ? Allouache ne veut plus y répondre…

Titre original : Omar Gatlato

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Durée : 90 mn


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