Dès le premier plan, l’auteur nous plonge dans l’intimité du personnage-titre. Seul dans sa chambre, Omar finit de s’habiller. Il se présente, nous explique le sens de son surnom (Gatlato signifie « la virilité qui le tue » en arabe), et nous raconte quelques détails clés sur son enfance, ses parents, sa vie en somme. D’emblée, Omar nous est présenté comme un personnage banal, généreux et qui n’aspire qu’à une seule chose : posséder une grosse quantité d’enregistrements chaabi (musique populaire algéroise dont les principaux chanteurs sont El Anka, Guerouabi, Ezzahi et Chaou). Allouache sait exactement de quoi il parle, il est en quelque sorte un « Omar Gatlato » dans l’âme. Algérois, passionné de musiques traditionnelles et surtout féru de cinéma (italien et indien), l’auteur nous présente un homme qui pourrait être son frère jumeau. C’est pour cela qu’Omar se présente face à la caméra, qu’il joue le jeu du reportage, qu’il invite le spectateur à pénétrer dans sa bulle. Le film, dès les premières minutes, s’exprime à la première personne, un « je » qui ne s’entend pas mais qui se voit.
Plus loin, l’auteur nous entraîne dans le quotidien banal d’Omar. Entre le bus plein à craquer, les collègues de bureaux tous plus lunatiques les uns que les autres et les combines professionnelles, les journées de Gatlato se ressemblent toutes. Une scène importante doit être mentionnée car représentative des intentions du cinéaste. Dans le bus qui l’amène à son lieu de travail, Omar effleure par mégarde la main d’une jeune femme qui se tenait près de lui. Quelques secondes suffisent pour créer une gêne réciproque, qui suffit à ce que la jeune femme retire précipitamment sa main, confuse et rouge de honte. Plan court et remarquable, car toute la thématique du film se trouve dans ce geste, toute la tristesse d’un pauvre destin peut se lire dans cette main piégée.
Roy Armes, dans une analyse intéressante (Omar Gatlato, éditions L’Harmattan), convoque le thème de la frustration amoureuse. Il est souvent question d’un désir refoulé, d’une émotion interdite et d’un sentiment censuré, qui se traduisent dans le film par une incommunicabilité avec la famille, par des non-dits avec les amis et surtout par une intimité amoureuse invraisemblable. La société d’Omar Gatlato regorge de contradictions, d’intégrisme religieux et de cloisonnement. Omar ne peut s’affirmer en raison d’une trop grande sécheresse affective. En se confrontant à cette voix mystérieuse, c’est tout un schéma qu’il remet en cause, toute une idéologie qu’il tente de rejeter. La dépression est proche car ce ras-le-bol quotidien l’avale progressivement. Omar ne veut plus survivre, quitte à se démarquer définitivement de son passé. A ce moment-là, Allouache emmène son héros vers la confrontation ultime, la rencontre avec cette femme. La scène sera belle, juste et triste. Omar ne pourra retourner sa veste faute de courage et surtout faute d’avenir. Evidence omniprésente.
