Nazarin

Article écrit par

« Nazarin » est une œuvre clé dans la mythologie bunuelienne. Parabole picaresque et satire acerbe dans le même temps questionnent la croyance religieuse et mettent à jour les hypocrisies de son temps. A redécouvrir en salles dans une splendide version restaurée. Analyse..

Dieu merci, je suis toujours athée.” (Luis Bunuel)

Farouche anticlérical jusqu’à une tardive conversion à la fin de sa vie, Luis Bunuel cultive habilement le paradoxe avec ce dernier film tourné au Mexique amorçant son retour en grâce en Espagne après un exil prolongé. Avec Nazarin, Bunuel adapte le roman picaresque de l’immense écrivain espagnol du XIXe sous la dictature de Porfirio Díaz, Benito Pérez Galdós, dont il fera son miel avec Viridiana et Tristana. Il se livre ici à une démystification en règle de l’idéalisme naïf autour de la croyance aux préceptes de l’Eglise catholique. Celle-ci est aux mains d’une bourgeoisie opulente. Le clergé vit dans le luxe et se fiche comme d’une guigne des pauvres et des malades. S’ il ne tient pas précisément les membres du clergé en odeur de sainteté, Bunuel sait aussi mettre de l’eau dans son vin. Il ne s’en prend pas ouvertement aux dévots mais questionne l’aveuglement religieux. Il décoche ses traits unanimement à l’encontre du sabre et du goupillon.

 

Un hérétique en butte aux hypocrisies de son temps

Le père Nazarin (Francisco Rabal) exerce son humble ministère auprès d’une communauté rurale arriérée du Mexique. Ce faisant, il devient le confident involontaire d’une cour des miracles haute en couleurs composée de
prostituées, de mendiants, de voleurs et même d’un nain. Comme dans nombre de ses films, l’obscénité chez Bunuel est révélatrice de l’outrance d’une certaine religiosité. Il se produit comme un choc de la confrontation, une collision entre l’aveuglement spirituel et une réalité sociale d’individus moralement avilis. De rejets en trahisons et de souffrances en mortifications, Nazarin poursuit sa difficile mission apostolique flanqué d’une prostituée hystérique, Andare, et d’une nymphomane épileptique suicidaire, Béatriz, qui sont devenues ses encombrantes groupies sur la route cahoteuse de l’évangélisation des masses depuis qu’il a supposément guéri par l’onction une enfant désespérément malade. Défroqué par sa hiérarchie qui juge ses actions blasphématoires et donc désavoué de sa charge de membre du clergé, il troque désormais sa chasuble pour les hardes du pèlerin va-nu-pieds. Tandis qu’il s’apprête à donner les derniers sacrements à une femme grabataire, elle se languit des étreintes de son amant et il est prié de passer son chemin. Bunuel épingle impitoyablement les hypocrisies insanes que rencontre ce pèlerin donquichottesque qui charge opiniâtrement les moulins à vent de ses illusions spirituelles.

Le prêche du “padre” singe la geste christique et les évangiles et dénote de l’inanité de la piété face à un peuple inculte et ravalé. La mise en accusation est cruelle et accablante qui n’épargne personne. L’évangélisation de Nazarin se révèle être un échec cuisant qui corrobore l’absence flagrante de raison d’être de la foi chrétienne auprès des déshérités qui confondent religion et superstitions.

Nazarin prend l’exact contrepied de St François d’Assise dans Onze fioretti de St François d’Assise de Roberto Rossellini. Son évangélisation des masses ne rencontre que sarcasmes, quolibets et humiliations. Le réquisitoire
bunuelien démonte bien plutôt l’hagiographie rattachée aux évangiles. Les efforts déployés par le pèlerin Nazarin pour suivre les préceptes du Christ sont infructueux pour cette population rustre de pécheurs et de pécheresses qu’il cherche vainement à convertir.

 

La piété des vertueux versus la vulgarité des mécréants, qui l’emportera ?

Bunuel est moins intéressé à fustiger la croyance naïve et idolâtre qu’il est à vouloir libérer les dévots de leur sainteté aliénante et répressive. La vie volontairement chaste d’ascète du padre Nazario et celle, à l’opposé, des prisonniers de la colonne pénitentiaire les ont conduit à occuper la même place de réprouvés une fois dans la geôle. Sans preuve formelle de l’existence de Dieu, il ne sert à rien de dédier sa vie à la piété et la vertu. A l’issue des épreuves successives qu’il lui faut traverser stoïquement : la peste, l’indigence et la veulerie du monde séculier, Nazarin se voit infliger une leçon de vie qui ébranle ses convictions. Dans un échange-clé avec un criminel repenti à la fin du film,
celui-ci l’apostrophe, fataliste: “Vous êtes du côté du bien, je suis du côté du mal mais nous nous retrouvons
à la même enseigne dans cette prison, vous en tant que hérétique moi en tant que criminel.” Ce commentaire fait
mouche qui désarçonne l’homme d’Église ébranlé pour de bon dans ses certitudes. Brutalement ramené à la raison, le prédicateur ne saurait à lui seul soulager toute la misère humaine. Il doit se délester de ce lourd fardeau. Il lui faut par la force des choses accepter la charité pour lui-même au même titre que celle qu’il prodigue aux autres. Charité bien ordonnée commence par soi-même. Le héros vilipendé, rossé, humilié, foulé aux pieds, finit par devenir à son tour l’objet de compassions. Sa mission apostolique se solde par une totale déroute mais la fin ouverte laisse entendre qu’il aura au moins appris de l’existence. Au terme d’un apostolat semé d’embûches, Nazarin témoigne d’un scepticisme salutaire. Paradoxalement, le dernier film mexicain de Bunuel, qui alimente la controverse, marque son retour en grâce dans son pays d’origine.

Nazarin est distribué en salles par Splendor films qui a supervisé sa restauration 4K.

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Pays :


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Journal intime

Journal intime

Adapté librement du roman de Vasco Pratolini, « Cronaca familiare » (chronique familiale), « Journal intime » est considéré à juste titre par la critique comme le chef d’œuvre superlatif de Zurlini. Par une purge émotionnelle, le cinéaste par excellence du sentiment rentré décante une relation fraternelle et en crève l’abcès mortifère.

Été violent

Été violent

« Eté violent » est le fruit d’une maturité filmique. Affublé d’une réputation de cinéaste difficilement malléable, Zurlini traverse des périodes tempétueuses où son travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Cet été
violent est le produit d’un hiatus de trois ans. Le film traite d’une année-charnière qui voit la chute du fascisme tandis que les bouleversements socio-politiques qui s’ensuivent dans la péninsule transalpine condensent une imagerie qui fait sa richesse.

Le Désert des tartares

Le Désert des tartares

Antithèse du drame épique dans son refus du spectaculaire, « Le désert des Tartares » apparaît comme une œuvre à combustion lente, chant du cygne de Valerio Zurlini dans son adaptation du roman éponyme de Dino Buzzati. Mélodrame de l’étiquette militaire, le film offre un écrin visuel grandiose à la lancinante déshumanisation qui s’y joue ; donnant corps à l’abstraction surréaliste de Buzzati.