Moulin Rouge

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Génie ou imposteur ? Baz Luhrmann agace, mais ne laisse pas indifférent.

Lorsque Christian (Ewan McGregor) goûte pour la première fois l’absinthe, la « dive bouteille » du XIXe siècle, la petite fée verte apposée sur la bouteille s’en détache, virevolte en surimpression dans les airs, et, telle une Clochette dévergondée, improvise une danse lubrique avec la bande de joyeux lurons.

La scène n’est pas qu’anecdotique. Elle est matricielle de Moulin Rouge !. Pour Baz Luhrmann, cinéma, ivresse et comédie musicale vont de paire.

Un film haut en couleurs

Pour entrer dans Moulin Rouge !, il faut passer un seuil redoutable : les vingt premières minutes. Votre loyal serviteur eut bien du mal, tant Luhrmann y concentre et déchaîne tout ce que peut offrir le septième art en matière d’effets sensoriels. Ralentis et accélérés, surimpressions et couleurs vives, montage épileptique et plans très brefs : tout y passe, jusqu’à l’acmé du spectacle de cancan orchestré par Harold Zidler (Jim Broadbent). C’en est presque insoutenable, et l’on en viendrait à se détourner d’un cinéaste qui, par bien des égards, s’apparente à un apprenti-magicien triturant chaque appareil cinématographique.

Passé l’entrée en matière, le film s’assagit, mais conserve néanmoins son principe de base : l’exubérance formelle. On ne peut pas rester indifférent devant Moulin Rouge ! : on crie au génie ou à l’imposteur. Au moins lui reconnaît-on une force de frappe, un style inédit, qui amalgame et fait sien l’ensemble des avant-gardes cinématographiques qui l’ont précédé en vue de faire du cinéma l’art total par excellence. Ad nauseam, parfois.

 

 

Re-lire ses classiques

Luhrmann n’innove pas. Ou plutôt, son innovation ne réside pas dans l’invention d’un nouveau contenu, mais dans celle d’un nouveau contenant. Une forme bigarrée, haute en couleurs, jusqu’au dé-lire : lire, relire ses classiques, et tisser de nouvelles relations, de nouvelles structures. Son apport principal au genre de la comédie musicale se situe dans la singularité de sa bande-originale.

Car elle n’a précisément rien d’original. Elle se compose quasi-exclusivement – à l’exception du thème principal de Christian et Satine (Nicole Kidman), créé pour le film – de standards du rock, de la pop, du jazz… rejoués autrement. Ainsi, le cancan initial se joue au rythme effréné d’un Smells Like Teen Spirit aux tonalités électroniques. Plus tard, Zidler tient au duc de Monroth (Richard Roxburgh), rival de Christian pour l’amour de Satine, un discours lyrique reprenant Like A Virgin. Au milieu de tout ce bazar passe Offenbach et son Orphée aux Enfers.

 

 

Une forme sans fond

Mais une forme, aussi délirante soit-elle, vaut-elle comme fond ? N’est-elle pas, à l’instar du visage de Henri de Toulouse-Lautrec (John Leguizamo), un fatras de maquillage qui camoufle mal la pauvreté du scénario ? Hors de son contexte festif et fanfaron, le leitmotiv du film, « la plus grande vérité qu’on puisse apprendre un jour est qu’il suffit d’aimer et de l’être en retour », sonne horriblement creux.

Film schizophrénique, Moulin Rouge ! se déchire entre une forme puissante (aussi bien qu’agaçante) et un fond d’une remarquable platitude. Les prouesses visuelles pardonnent mal le mièvre triangle amoureux qui lie le pauvre poète Christian, la danseuse Satine et le riche et méchant Monroth. Le fond ne suit pas les audaces formelles. Entre sublime et grotesque, Luhrmann ne tranche pas, et accouche d’un monstre curieux, dont la représentation de Toulouse-Lautrec vaut comme emblème : un peintre brillant grimé en nain grotesque.

Titre original : Moulin Rouge !

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Durée : 127 mn


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