Monteur de Claire Simon
Luc Forveille fait partie de ces artistes monteurs que les spectateurs ont trop souvent l’habitude d’oublier. Pourtant, et de nombreux réalisateurs à commencer par Jean-Luc Godard, vous diront leur rôle très important. Le film prend vie et souffle grâce au montage. On ne va pas citer tous les films auxquels Luc Forveille, diplômé de l’IDHEC, a participé. On retiendra parmi les plus récents : Apprendre en 2024 et Notre corps en 2022, tous deux de Claire Simon dont il est le monteur attitré puisqu’il a aussi réalisé le montage de Le concours en 2016 et Le bois dont les rêves sont faits en 2015. Mais il a aussi collaboré avec de grands noms du cinéma mondial : Alexander Abaturov, Mehran Tamadon, Jacques Deschamps, Arnaud Lambert, Alexander Kusnetsov ou Sophie Bredier. Luc Forveille a soutenu une thèse en 2020 sur les logiques du montage documentaire intitulée « Montage et production de sens dans le cinéma documentaire contemporain » qui, remanié, deviendra ce livre passionnant dont l’auteur – enseignant aussi depuis de nombreuses années à la Fémis, au master de réalisation documentaire de Lussas et, plus récemment, aux Ateliers Varan – dit quelques mots : « J’ai passé de longues heures dans les salles de montage de films documentaires. C’est là qu’est né et qu’a mûri ce projet d’écriture, il y a plus de dix ans maintenant. »

La logique du récit
« Cet essai repose sur la conviction que dans chaque raccord, dans chaque plan monté, dans chaque structure de film, il y a une pensée qui s’exprime. Une volonté de montrer, d’expliquer ou de faire sentir quelque chose. Cette pensée n’est d’ailleurs pas forcément formulée en tant que telle dans la salle de montage. Elle n’est même pas nécessairement “pensée” de manière objective car elle n’a pas besoin de trouver une expression rationnelle pour s’appliquer au montage. L’important est avant toute chose, le résultat plutôt que les causes de ce résultat et la pensée qui s’exprime n’a d’intérêt que dans la mesure où elle permet d’atteindre un résultat probant. Néanmoins lorsqu’on a monté un film, on peut expliquer, au moins a posteriori, ce qui a motivé la présence, la place et la durée de chaque plan. La nécessité de chaque raccord. La logique de chaque récit et de chaque esthétique. C’est à la description de ces logiques que ce travail est consacré. »

Ne pas dire, mais faire voir
Le lecteur de ce livre fort documenté devra abandonner son habitude de penser le film comme un objet fini. Mais on lui conseille de se projeter dans cet espace et dans ce temps de la salle de montage où le film est encore à faire. Et lorsqu’il y sera installé, il découvrira qu’au-delà d’être un lieu physique, la salle de montage est surtout un lieu d’expérimentation et de questionnement. « Un lieu mental où les certitudes d’un jour ne sont pas toujours celles du lendemain. » C’est pourquoi, en premier lieu, ce volume intéressera aussi les étudiants en cinéma, et pas seulement ceux qui se consacrent au montage pour bien en saisir toute l’importance. Selon Jean-Luc Godard, « Le montage permet de voir des choses et non plus de les dire. Ainsi, monter, ce n’est pas dire, c’est faire voir » : c’est rapprocher deux images pour en créer une troisième, une image-pensée, qui transcende la signification de ses éléments constitutifs, s’établissant en marge des clichés ou de la grammaire conventionnelle du cinéma et en mettant en évidence la codification du sens filmique.
Luc Forveille. Dans la salle de montage. Logiques du documentaire. Les Impressions nouvelles, Bruxelles, 2025. 280 p. 26 euros.






