Mauvaises Filles

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Surveiller et punir

Dès Témoignages

Dans un bâtiment sombre et décrépi, une ancienne maison de correction, comme sortie d’outre-tombe, une voix apaisée relate avec précision la violence des traitements qu’elle y a subis durant son adolescence. Mauvaises Filles, le premier long métrage documentaire d’Émérence Dubas retrace l’itinéraire de quatre femmes, Édith, Michèle, Éveline et Fabienne, qui ont enduré les sévices d’une maison de correction dirigée par des nones strictes et sévères. La simplicité de l’approche de la réalisatrice qui consiste majoritairement à laisser ses quatre témoins conter sobrement, dans des plans fixes et frontaux, leur enfance difficile et les mauvais traitements endurés en maison de correction (qu’ils soient physiques ou psychologiques) est percutante et efficace ; l’absence quasi totale de musique étant utile à renforcer la puissance de leur parole. Et tandis que l’alternance entre les plans montrant les témoins et ceux du lieu délabré dynamise efficacement le rythme de l’œuvre, au-delà de la misère relatée par les protagonistes, l’impact de leurs récits sur le spectateur fonctionne d’autant mieux et donnent d’autant plus le vertige du fait, qu’en creux, est suggérée l’ampleur du nombre de victimes aujourd’hui oubliées.

De l’injustice…

Mais par-delà le scandale exposé, la réussite de Mauvaises Filles réside surtout dans le fait qu’il parvient à faire ressentir la double injustice qu’ont eu à endurer ses quatre témoins. Soit la normalité de la violence des traitements infligés et l’oublie de la société à l’égard des anciennes résidentes (et ce faisant, celui de sa part de responsabilité dans leur vie brisée). Pour traiter le premier abus, Émérence Dubas procède en mettant en avant le caractère infondé de la présence des quatre femmes dans la maison de correction. En montrant la nature inique et presque arbitraire de leur venue dans le lieu, la réalisatrice parvient à exposer d’autant plus la nature cruelle et injustifiable des traitements réservés à l’ensemble des pensionnaires. Le côté sournoisement pernicieux de ces traitements résidant dans le fait qu’ils rendaient les victimes d’autant moins aptes à se réinsérer dans la société par la suite, et ne leur laissaient ainsi plus aucune chance d’avoir une vie normale. L’usage de la violence par les institutions semblant surtout traduire leur volonté d’aplanir coûte que coûte les caractères forts, individualistes ou rebelles.

  

…à l’injustice

La seconde injustice, l’oublie, peut-être la pire, transparait au travers de la rareté des documents d’archives et ce faisant, de leur rareté dans le film. Ces traces, exhumées par les femmes à la recherche de leur passé pour obtenir justice se résument à quelques lettres de parents dépassés ou négligents, ainsi qu’à quelques photos ou reportages sur les établissements qui mettent en évidence une volonté d’en donner une image assez fallacieuse. Cette limitation forcée de l’usage de documents d’archives n’est pas sans évoquer la démarche Wang Bing pour Les âmes mortes. Une œuvre qui, en ne pouvant montrer que les traces parcellaires restantes de crimes ayant été commis des décennies plus tôt, rendait particulièrement visible leur effacement et leur oubli ; conférant à l’ensemble de l’œuvre une forme de poésie mélancolique et macabre comparable à celle qui émane de Mauvaises Filles. Sachant que parce que la démarche du film consiste justement à faire connaitre les mauvais traitements endurés par ses témoins, l’œuvre participe activement à un travail de sauvegarde et de transmission de la mémoire. Ce faisant, et malgré sa noirceur, le film donne tout de même de l’espoir.

Une éthique

Enfin, si l’ensemble de Mauvaises Filles peut résonner comme un immense J’accuse dénonçant le système des maisons de correction, des religieuses en charge de l’établissement, des autorités qui les ont protégées, tout comme d’une société prompte à la cécité volontaire, il demeure intelligemment empathique à l’égard de ses protagonistes. Cette empathie s’exprimant notamment au travers de la volonté de la réalisatrice de connaitre intimement ses quatre témoins, à l’inverse de l’institution par laquelle elles sont passées et pour qui elles n’étaient que des filles à mâter. De cette façon, l’auteure évite d’abaisser ou de réduire les quatre femmes à des fonctions au service d’un message politique, ce qui lui permet d’aborder son sujet de façon humaniste et éthique. Véritable coup de point à qui oserait déclarer « c’était mieux avant », avide de justice et jamais vindicatif, Mauvaises Filles est donc une réussite entrainante, troublante et touchante.

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Durée : 1 H 11 Mn mn


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