Mamma Roma

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Une des grandes réussites de Pasolini qui offre un écrin sur mesure à une Anna Magnani bouleversante.

Tout comme avec son premier film Accattone, Pasolini transcende avec ce second essai l’inspiration néo réaliste pour délivrer une œuvre toute personnelle et pétrie de ses thématiques. A l’image d’Accattone ou des films qu’il a scénarisé pour Bolognini (notamment le diptyque Les Garçons/Ca s’est passé à Rome) on retrouve ce cadre banlieusard romain peuplé de jeunes voyous sans repères dont ici le jeune Ettore. Ce qui change la donne ici c’est le fait de placer au centre du récit un personnage d’adulte bienveillant et sacrificiel incarné par Anna Magnani, montrant ainsi un Pasolini en passe d’étendre son registre et de dépasser la description des mœurs des petites frappes qu’il connaît si bien. A l’opposé des récits d’errances des précédents films, Mamma Roma croise leur modernité avec un mélodrame puissant et intense.

 

 

La scène d’ouverture annonce parfaitement les différents sentiments traversés tout au long du film entre humour, tendresse, cruauté et rapport de force. Mamma Roma est une prostituée fraîchement libérée de son proxénète grâce au mariage de ce dernier qui ouvre le film. Les rapports complexes amour/haine et dominant/dominé qui les unissent s’expriment brillamment le temps d’une joute verbale chantée entre la mariée, le maquereau et la prostituée repentie. Cette liberté durement acquise donne donc l’occasion à l’héroïne d’enfin élever son fils de seize ans dont elle a toujours été séparée. C’est sans compter sur l’existence sauvageonne que ce dernier a connue, livré à lui-même, et le tempérament orageux de Mamma Roma ne sera pas de trop pour le mettre au pas. Anna Magnani délivre une prestation d’une profonde humanité avec ce personnage déterminé, caractériel et si touchant dans sa volonté de vaincre le destin et de donner une position à son fils. Ce dernier est joué par le jeune (et non professionnel comme la plupart du casting) Ettore Garofolo est coincé entre l’enfance qu’il n’a pas vraiment eu (toute les premières scènes entre lui et Magnani étouffe la dureté attendue pour verser constamment dans une belle tendresse comme ce tango entre mère et fils) et l’adolescence délinquante qui le guette, sa figure juvénile et poupine se durcissant au fil de la perte de son innocence.

 

Pasolini use d’ailleurs beaucoup des séquences en parallèle se répondant au début et à la fin pour marquer le basculement tragique des évènements. Les retrouvailles entre Mamma Roma et Ettore au début lorsqu’elle le suit derrière ses amis pour le rappeler à elle trouvera son pendant négatif dans la dernière partie où Pasolini use du même découpage pour cette fois la montrer incapable de le rattraper et symbolisant la rupture puisqu’il a découvert que sa mère est une ancienne prostituée. L’usage le plus brillant de cette idée reste cependant le plan séquence nocturne en travelling qui suit Mamma Roma au départ s’extirpant de ses ruelles de passe habituelles et abandonnant ses anciennes « collègues » pour symboliquement voguer vers une nouvelle vie avec son fils. Le passage a également une valeur psychanalytique puisque Anna Magnani perdue dans ses pensées s’y confie métaphoriquement à plusieurs passant se donnant le relai une part son passé douloureux (mariage précoce, pauvreté, prostitution…) et son bonheur de s’en sortir. La même scène en conclusion aura une toute autre portée puisque là les déambulations accompagnent un profond désespoir et se solde par une rechute lorsqu’elle cède à ses clients.

 

 

Ces deux passages démontrent une stylisation affirmée de la part de Pasolini qui dépasse la touche naturaliste qu’on ressent dans l’ensemble. C’est particulièrement vrai dans l’usage qu’il fait d’un concerto de Vivaldi qui donne un ton élégiaque et majestueux à toute cette fange environnante dans les moments apaisés et qui bouleverse totalement lorsque le drame s’intensifie. Difficile ainsi de rester de marbre lorsqu’on assiste au terrible sort final d’Ettore. A la musique s’ajoute ainsi le symbolisme religieux l’associant au Christ crucifié (que le début du film annonce avec La Cène reprise le temps d’un cadrage durant le mariage) et un montage alterné puissant montrant l’ultime dialogue à distance entre Mamma Roma et Ettore redevenu un petit garçon craintif appelant sa mère dans l’obscurité de ses derniers instants. Dès lors alors que tout est perdu, le pathétique le plus éprouvant peut s’inviter dans un ultime moment où Anna Magnani s’abandonne totalement à une démence hébétée qui marquera longtemps après le mot fin. Grand film.

Titre original : Mamma Roma

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