Lola / La Baie des anges / L’Évènement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune

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<< Le hasard qui fait d´habitude si bien les choses, s´est trompé ! En semant des roses fanées, au coeur de nos deux solitudes ... >> A l´occasion de leurs ressorties en DVD, retour sur trois perles d´un dépressif illuminé…

Suite à l’intégrale Jacques Demy éditée en 2008, Arte et Cinétamaris sortent à l’unité cinq de ses films. L’occasion, même si on le savait déjà, de rappeler que Demy n’a pas réalisé que les mythiques Parapluies de Cherbourg et les enivrantes Demoiselles de Rochefort !

Pleure qui peut, rit qui veut.

Lola, 1960, son premier film, marquera toute sa filmographie. A Nantes, sa ville de naissance, et déjà : des marins ! Mieux vaut être en phase avec son patron quand on arrive en retard au travail à cause d’un roman… Dans la vie de Roland, aspirant blasé à l’aventure, le fantasme va bientôt croiser la réalité sous la forme de Lola, son amie d’enfance, danseuse elle-même fidèle amoureuse d’un souvenir lui ayant laissé un enfant… Michel. Demy voulait son film en couleur. Ses noirs et blancs sont lumineux. Lola surexposée apparaît comme auréolée par le soleil. L’état de grâce d’une femme multiple, à la fois jeune Cécile, fougueuse et conquérante – Annie Dupéroux, géniale en enfant fraîche et gouailleuse – mais aussi délaissée par le bonheur, en la personne de la trop résignée Mme Desnoyers.

Trois âges d’une femme : Lola n’est plus Cécile, toutefois son cœur bat-il assez fort pour lui éviter de devenir Madame ? Souplesse et légèreté incarnées dans son armure de femme fatale désabusée, Lola reste profondément loyale à ses plus intimes convictions, advienne que pourra. On ne paye jamais le prix de ses croyances les plus folles chez Demy, mais plutôt celui d’avoir cédé à la morosité ambiante. Raison ou sentiments ? Comme dans Les Demoiselles de Rochefort, passé, présent, futur se télescopent : le destin dénouera aussi vite les chemins qu’il avait noués. Lola retrouvera-t-elle Michel ? Aux dépens de Roland, la fille a disparu, mais l’amour l’a choisi… Cruelle, sa guigne le suivra jusqu’à Cherbourg, où il rencontrera la fragile Geneviève.

Rien ne va plus !

« Les marins, les filles et les bateaux, y en a marre ! » Ça tombe bien ! 1962 : La Baie des anges, Nice, la côte d’Azur, ses casinos. La roue tourne. Jean remplace Roland. Faites vos jeux. Innocent employé, un peu falot mais avide de liberté, las du tonton du Loiret, et finalement entraîné du côté obscur par son ami Caron, Jean rencontre une étincelante joueuse invétérée : Jackie. Blonde platine, gamine, elles partagent avec Lola une naïveté spectaculaire, sous un vernis épais de maquillage. Encore une fois, le noir et blanc sert l’artifice : miroirs scintillants et éclats de poudriers, de quoi attirer un régiment de pies. Jackie pense avoir du nez. Son numéro fétiche, le 17, la fait perdre constamment. Jean a de la chance au jeu, il sait s’arrêter au bon moment.

 

Fidèle au 17, Jackie, confortablement installée dans sa précarité, a tout quitté mais n’est en fait pas si audacieuse qu’elle paraît. Coincée dans son hypnose, elle force le destin en misant et remisant son sort chaque jour. Lorsqu’elle n’a plus d’argent, la femme-enfant boude dans sa chambre d’hôtel, emballée dans des robes trop grandes, avec une roulette de poche. Quand l’évidence frappe à sa porte, à l’engagement, elle préfère la fuite en avant. Tout est égal pour Jackie : tout est amusant, elle voudrait changer de peau tous les matins, s’épargner le risque de souffrir. « Une existence qui n’existe qu’au cinéma… » Pourtant, le vrai miracle clôt le film avec fracas, dans une magnifique scène aussi intense que brève, où Jackie bouleversée choisit de s’agripper à sa propre vie : elle rejoint l’autre rive, traversant en trombe un tunnel de glaces pour se précipiter dans les bras de Jean.

L’homme devient enfin l’égal de la femme puisqu’il peut tout faire. Pour nous c’est un grand soulagement !

L’Évènement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune, 1973 : Mastroianni se sent « chifougne ». Normal, il est enceint de Catherine Deneuve ! Militantisme féministe ? Chez Jacques Demy, les femmes ne sont ni lâches, ni ordinaires. Au pire, elles peuvent paraître doucement nunuches : c’est le cas d’Irène, qui, sous ses dehors superficiels, a tout de même de très belles sorties, notamment une : « je ne vois pas un PDG abandonner son usine pendant huit mois, il se fera avorter ». Et toc ! L’air de rien, avec encore plus d’apesanteur que d’habitude, Demy touche le fond. Le fond du kitsch avec Mireille Mathieu, mais pas seulement.
 
 

Dans la ligne de mire : les phénomènes médiatiques. Pourtant parti d’une boutade (Deneuve et Varda accouchent toutes deux en 1972), le film aurait pu se contenter de sa galerie de portraits, servie par d’excellents acteurs, ou de ses toiles en skaï, perruques vertes et autres fourrures bleues. Cette explosion de matières synthétiques – aujourd’hui vintage, avis aux amateurs ! – soutient plus qu’il n’éclipse la boursouflure… sans vouloir vexer notre Papa modèle… En renversant tout bêtement une fatalité biologique à coup d’arguments plausibles – l’alimentation moderne –, Demy n’a plus qu’à défaire les phrases toutes faites, pour mieux mesurer les effets d’une nouvelle révolutionnaire sur les clichés, les brèves de comptoirs, la publicité et les commérages d’un salon de coiffure. Téléphone arabe décroché, cancans métamorphosés : on reste scotchés à ce seventies reality show !

« Il ne faut pas croire que l’humanité soit complètement pourrie », assurait Mme Desnoyers. Une certitude : si le quotidien s’avère parfois douloureux, Demy nous fait passer la pilule.

Bonus :
Les trois DVD proposent les mêmes suppléments, courts et efficaces, laissant toutefois un peu sur notre faim :
– un texte à propos du film (de Jean-Pierre Berthomé)
– le film vu par une personnalité extérieure.
En plus, pour Lola : Jacques Demy parle de l’œuvre, dans un fragment de l’émission Cinéaste de notre temps (1964). 


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