Une affaire de femmes
Portrait d’une jeune fille enceinte; procès d’une société malade. Un corps médical se réfugiant dans le mensonge et la lâcheté pour justifier leur sermon d’hypocrite. Une société où même la jeunesse tourne le dos à la compassion et rejette l’idée pure du plaisir, sclérosée par un discours moral hors de tout entendement. Une population française phagocytée par une législation selon laquelle l’avortement est passible de la peine de mort. Période faste et innocente généralement sublimée par l’imagerie cinématographique, sous le regard d’Audrey Diwan, la France des Yéyés revêt les couleurs les plus sombres de notre histoire. Une photographie aux teintes délavées et exsangues, aux reflets sombres. Atmosphère de l’Occupation, rappelant celle d’ Une affaire de femmes (1988), dans lequel Chabrol abordait la même thématique dans son dénouement le plus tragique. L’histoire d’ Anne (Anamaria Vartolomei) est celle d’une résistante en temps de guerre, luttant dans la clandestinité pour sauver son avenir. Parmi l’entourage de la jeune femme, quel que soit leur sexe ou leur âge, trop rares sont ceux qui sont prêts à l’écouter, plus rares encore sont ceux qui veulent l’accompagner dans son combat pour la dignité et la liberté. Seule une faiseuse d’anges (saisissante Anna Mouglalis) acceptera contre quelques centaines de francs de se livrer à l’opération salvatrice. À l’instar de son héroïne Audrey Diwan ne perd pas son temps en conjectures pour une lecture psychologique ou sociale de la situation. Le poids de l’environnement s’impose grâce à des arrières plans très judicieux et des personnages secondaires bien dessinés.
Encagée
Caméra à l’épaule, dans le tempo sous-pression de la jeune femme, une course contre-la-montre rythme le récit. Très habilement, grâce à un montage qui se veut plus fluide plus que nerveux, l’immersion ne tend jamais vers l’essoufflement. Le point de vue subjectif que le sujet impose (récit autobiographique) ne cherche pas à forcer l’adhésion mais vise à traduire l’ampleur et les cycles de ce drame intérieur, la révolte succède à la stupéfaction, la placidité triomphe des larmes. Déjà prégnante dans L’échange des princesses, la richesse émotionnelle d’ Anamaria Vartolomei nous emporte sans réserve. Se sachant condamnée d’avance par La Morale Publique, la sensibilité d’Anne est exacerbée. Le format 4/3 de l’image qui se veut en tout protecteur prend des allures de prison mentale. Renfermement justifié ou simple paranoïa ? Les regards qui scrutent et se détournent, les bienveillances de façade, il y a du Polanski dans cette Anne’s Baby. Sans pour autant qu’il ne soit réellement permis de douter de la force de la lucidité qui caractérise l’héroïne. La dimension intimiste de certaines situations semble nous conduire vers un terrain organique qu’aime à explorer un David Cronenberg ou plus récemment une Julia Ducournau. Mais Audrey Diwan donne ici naissance à une œuvre foncièrement singulière et personnelle.