L’histoire d’Antoine est celle d’une fuite en avant, d’une fugue perpétuelle sans retour possible au domicile parental. Dès la première nuit que le jeune garçon passe dans la rue, ses parents le perdent. Ils ne peuvent plus le reprendre chez eux car ce qu’il a vu à l’extérieur, la vie possible qu’il a entraperçue, il a l’impression de pouvoir la saisir ; de l’attraper en vol. Pourquoi rentrer quand notre vie est là, dehors, à nous attendre ? Dans
L’Enfance d’Ivan ou encore
Allemagne année zéro (1948) de Roberto Rossellini, les illusions des enfants, même si le monde qui les entoure tend vers l’onirique – les marées de forêts chez Andrei Tarkovski et les ruines de Berlin chez le cinéaste italien -, doivent toujours se confronter à une réalité qui les dépasse.
Les Quatre cents coups laisse au contraire à Antoine beaucoup de libertés, comme si l’illusion ne sortait pas de sa tête mais naissait autour de lui. Le jeune garçon court dans un monde constamment en mouvement. C’est ce monde qui se présente à lui quand au centre d’un rotor de fête foraine tournant à toute allure, l’image fixe des spectateurs se met à bouger. François Truffaut, en séparant Antoine de sa mère, en le déscolarisant, en lui faisant fumer des cigarettes, boire du vin et commettre de petits larcins en fait un bloc de réel contre lequel se plie l’univers tout entier. L’impression qu’on a gosse, l’impression que rien ne peut nous arriver et qu’à notre hauteur c’est nous qui voyons le mieux, François Truffaut la cristallise pour son premier film sur les colossales petites épaules de Jean-Pierre Léaud. Des premiers mensonges de classe à la rencontre des derniers instants avec une psychologue à qui il parle comme il ne pourra jamais le faire avec sa mère, le visage du jeune acteur et son intonation si particulière emportent tout. Au contraire d’Ivan ou d’Edmund chez Rossellini, une fois qu’Antoine sera arrivé au bord de la mer, quand il ne pourra plus avancer, il tournera instantanément son dos aux vagues et aura un dernier regard pour la caméra. Rien n’est fini quand se termine le film de François Truffaut. Ivan semble presque marcher sur l’eau mais Antoine devra la contourner ou revenir sur ses pas. Le regard figé de Jean-Pierre Léaud quand arrive la fin des
Quatre cents coups, bien qu’immobile, vibre de sa promesse. Et si avant de rentrer à la maison on en visitait plein d’autres ?