Née aux Etats-Unis, Robert Siodmak va pourtant passer les trente premières années de sa vie en Allemagne où il met en scène ses premiers films. L’arrivée du Nationalisme le pousse alors à l’exil, en Europe d’abord puis pour un retour vers son pays de naissance au début des années trente. Après un passage à la Paramount, sa carrière va prendre son élan chez Universal Pictures – avec Le Fils de Dracula, 1943, abordé dans notre coin du cinéphile consacré à Universal Monsters -. Entre le milieu et la fin des années quarante, Siodmak va connaître sa période la plus faste, en imprimant son style – proche de l’expressionnisme allemand – au film noir hollywoodien. Avec Les Tueurs (1946), Les Mains qui tuent (1944) et Pour toi j’ai tué (1949) sont tout simplement de véritables chefs-d’œuvre.
Les Mains qui tuent (Phantom Lady).
Accusé d’avoir assassiné son épouse, Scott Henderson (Alan Curtis) est condamné à mort. Pour tenter de le sauver, son assistante, Carol (Ella Raines), va rechercher la femme qui était avec lui à un spectacle durant toute cette soirée. Le faux-coupable qu’un cadre enferme lentement mais surement dès son premier interrogatoire, un procès où il sera constamment maintenu hors-champ; Siodmak transcende le fatum d’une impitoyable mécanique scénaristique – tiré d’u roman de William Irish- grâce à l’ingéniosité et la précision de sa mise en scène. Encore plus admirable, la photographie d’Elwood Bredell dirige véritablement le film. La porosité naturelle entre le genre criminel et l’horreur éclate dans les magnifiques contrastes des ombres menaçantes où se réfugient les véritables mains meurtrières. Son propriétaire, incapable de maîtriser ses pulsions, s’inscrit, par son ambivalence profondément humaine, dans la lignée des loups-garous et vampires tourmentés d’ Universal Monsters. Lorsque la lumière se fait spectrale, comme lors de la dernière visite en prison de Carol, le romantisme prend alors des contours surréalistes et oniriques. Tout au long du film, la lumière sculpte le visage de Carol qui quitte progressivement sa discrétion et son élégance pour dévoiler ses charmes les plus envoutants. Ella Raines, dont la beauté – des yeux verts scintillants en noir et blanc – et la douceur de ses traits n’ont rien à envier à Gene Tierney, brillent de mille feux dans ce magnifique océan de pénombre qu’est Phantom Lady.
Pour toi j’ai tué (Criss Cross)
Steve Thompson (Burt Lancaster) revient vivre à Los Angeles sous prétexte de vouloir s’occuper de sa « vieille mère ». En réalité, ce dernier cherche à reconquérir son ex-femme, Anna (Yvonne De Carlo) qui fricote avec un gangster de la pire espèce. Les deux hommes vont pourtant monter un coup ensemble… Une passion fatale, le casse du siècle dont la réussite ne tient qu’à un fil, cette chronique d’un désastre annoncé s’écrit dans la plus pure tradition des romans noirs – adaptation ici d’un titre de Don Tracy-. Tandis que dans Les Mains qui tuent le temps se dilatait pour perdre les héros, ici, le compte à rebours s’emballe pour les noyer, trouvant son acmé dans le trajet en fourgon blindé dans lequel chaque micro événement aurait pu éviter le pire. Un montage qui relève de la pure orfèvrerie dicte un impitoyable tempo. Préfigurant L’ultime Razzia (1955) , l’une des deux incursions de Kubrick dans le genre. « Plus le méchant est réussi plus le film serra réussi » disait Hitchcock; lâche, poisseux, cynique Slim Dundee coche toutes les cases du salaud qu’on adore détester, Dan Duryea fait froid dans le dos à chacune de ses apparitions. D’abord, étonnamment naïf dans les premiers temps, Burt Lancaster retrouve peu à peu les traits d’une virilité contrariée qui constituent sa persona habituelle, tout en faisant toujours preuve d’une grande nuance de jeu. En 1996, avec le style chirurgical qu’on lui connaît, sans être à proprement parler un remake, Steven Soderbergh s’emparera de nouveau du roman de Tracy. Deux adaptations aussi brillantes et palpitantes l’une que l’autre.
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