Les Jeux de l’amour

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Révélation brillante de l’univers fantaisiste, romantique et mélancolique de Philippe de Broca !

Les Jeux de l’amour est le premier film de Philippe De Broca, où se dévoile déjà toute sa fantaisie et son sens du mouvement. De Broca caressait depuis longtemps de désir de passer à la mise en scène et un heureux concours de circonstances va le lui permettre. Il bénéficiait d’une déjà solide expérience d’assistant réalisateur notamment pour Claude Chabrol sur Le Beau Serge. Ayant faire part à Chabrol de son ambition, ce dernier va lui proposer, pour ses débuts, de mettre en scène un scénario qui lui aura été amené par l’actrice Geneviève Cluny sur une jeune femme décidant de faire un bébé et de l’élever seule. Le scénario sera offert dans un premier temps à Jean-Paul Rappeneau qui déclinera car peu à l’aise pour illustrer un script n’étant pas de sa main et qui du coup fera ses débuts bien plus tard avec La Vie de Château (1966). Plus surprenant encore, Jean-Luc Godard se montrera très intéressé par le sujet mais son approche ne plaisant pas à Geneviève Cuny il devra dans un premier temps laisser le poste à Philippe De Broca mais, ne se démontant pas, il livrera sa vision de l’histoire avec le fameux Une femme est une femme (1961). Bien que sorti après Les Jeux de l’amour, il passera finalement bien plus à la postérité mais il est en tout cas passionnant d’observer cette variation sur le même thème de cinéastes inspirés.

 

 

Philippe De Broca remaniera grandement le script de Geneviève Cuny avec celui qui deviendra son partenaire d’écriture privilégié par la suite, Daniel Boulanger. Du point de vue féminin et du message progressiste d’origine (une femme cherchant à faire un enfant seule) on passe de l’autre côté avec au contraire un héros immature ne souhaitant pas avoir d’enfant. Si Une femme est une femme faisait preuve d’une percutante modernité dans son traitement, De Broca signe lui un film à la fois très contemporain et désuet. La facette désuète relève de cette dimension de conte de fée qui imprégnera souvent les films du réalisateur et s’exprime ici par cette boutique d’antiquaire dont les objets insensés entourent le couple, ces extérieurs à la beauté renversante (la sortie en pique-nique ou le tonitruant générique qui montre le trio de héros en ballade dans des lieux divers) et le vis à vis assez irréel, juste en dessous du Panthéon entre les demeures du couple Victor/Suzanne et le meilleur ami François. De Broca brode cet aspect pour idéaliser dans une tonalité rêveuse les amours de Victor (Jean-Pierre Cassel) et de Suzanne (Geneviève Cuny). A l’inverse, c’est un Paris bien moderne qui s’illustre quand naissent les conflits, symbolisé par ce café de de danse jazzy où viennent se perdre tour à tour Victor puis Suzanne en fin de film. Bruyant, bondé et enfumé, c’est un lieu où on s’oublie sur sa piste de danse endiablée tandis que le monde féérique laissant la romance s’épanouir est un lieu où on s’abandonne.

 

 

Victor et Suzanne filent donc le parfait amour sous l’œil résigné de François (Jean-Louis Maury), secrètement amoureux de Suzanne. Cet équilibre bien établi est alors mis à mal par l’énième refus de s’engager de Victor alors que Suzanne souhaite se marier et avoir des enfants. François, prêt sans discussion à offrir tout cela à Suzanne sent peut-être enfin venir sa chance. Les relations entre les personnages relèvent également de cette dichotomie entre idéalisation et réalité cruelle. L’introduction le montre bien avec l’homme enfant qu’est Jean-Pierre Cassel se délectant des petits soins de Suzanne et fuyant toute forme d’obligation et de contrainte dans sa vie de couple. Ici ce sera un repas auquel il échappe pour aller s’acheter des boutons de manchette mais qui symbolise bien son immaturité, réveillant ainsi les rancœurs de Suzanne. Ce qu’il y a de bon dans une dispute, c’est la réconciliation et De Broca laisse ainsi la plus charmante des candeurs se dévoiler dans une longue séquence où nos deux tourtereaux s’épient, se défient et se fuient avant de tomber irrémédiablement dans les bras l’un de l’autre. Jean-Pierre Cassel annonce tous les grands héros désinvoltes de De Broca (souvent incarné par Bébel) avec cet esprit rêveur et enfantin, son hyperactivité et son mouvement perpétuel. Geneviève Cuny, entre gouaille enlevée et charme irrésistible est absolument à croquer. Sale gosse boudeuse que l’on a envie de consoler, séductrice au sex-appeal ravageur (cette tension érotique allant croissant lorsqu’elle se change sous les yeux de Cassel venu se réconcilier) et véritable princesse illuminant l’écran (ce final où elle resplendit en robe à fleur dans la nuit parisienne), c’est la femme idéale dans tout ce qu’elle a d’attachant et d’insupportable. Victor et Suzanne sont finalement deux grands enfants qui ne peuvent s’aimer que dans ce déséquilibre de jeu et de conflit.

 

 

Suzanne le comprendra en cessant d’exprimer ses manques directement pour faire croire qu’elle les a comblés avec un autre, Victor comprenant enfin ce qu’il risque de perdre. Il y aura pourtant forcément un malheureux dans ses Jeux de l’amour avec François joué par un attachant Jean-Louis-Amaury dont De Broca dont la solitude émeut souvent De Broca dans un cruel montage alterné où il seul dans son appartement tandis que le couple s’ébat dans sa chambre, prélude à ce final où il disparait seul dans la nuit alors que Victor et Suzanne scellent définitivement leur engagement. La belle scène de conclusion est d’ailleurs un superbe condensé de ce qu’a recherché le réalisateur tout au long du film, le réalisme et le rêve s’entremêlant pour enfin exprimer des sentiments purs et sincères.

Titre original : Les Jeux de l'amour

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Durée : 83 mn


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