Les Invités de mon père

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Optant cette fois pour la comédie, railleuse quoique affectueuse, Anne Le Ny s´affirme et confirme son élégance. Sur un thème dérangeant, son ton, son rythme et « ses » comédiens sont épatants.

Narquoise, remuante, incorrecte, affectueuse, critique, éminemment contemporaine : laissez-vous tenter par "l’invitation" d’Anne Le Ny ! Il y a mille raisons de lui être reconnaissant pour ce nouvel opus. Et d’abord d’avoir délaissé le drame : loin des affres existentielles et post-cancéreuses de "Ceux qui restent", voilà que la réalisatrice (également co-auteur) chemine, badine et mutine, sur les sentes autrement plus acides de la comédie. Autrement plus fréquentées aussi : or c’est avec une belle élégance qu’elle passe du huis clos à fleur de peau entre Vincent Lindon et Emmanuelle Devos à cette histoire vibrionnante d’une famille quelque peu… élargie. Il est toujours réjouissant d’accompagner l’évolution, et l’accomplissement progressif, d’une cinéaste…

Le pitch ? Un grand médecin retraité (Michel Aumont), figure héroïque d’une bourgeoisie parisienne de gauche, très engagée, contracte un mariage blanc avec une ravissante Moldave afin de lui éviter l’expulsion. Le "souci", c’est qu’en dépit de ses 80 ans, il succombe aux charmes de cette Tatiana "bombesque". Bientôt, ce sont donc toutes les relations familiales qui vont être à redéfinir, singulièrement celles avec ses deux grands enfants, Babette (Karin Viard) et Arnaud (Fabrice Luchini). Drôle ? Oui, mais mieux que cela… Les situations, comme le ton des "Invités de mon père" amusent et dérangent simultanément. Agitant, et c’est l’une des grandes qualités du film, de vraies questions morales sur le mode de l’ironie. Donc imposant aux spectateurs un regard à la fois perplexe et familier : intranquille…

Comédie sociale

Manifestement, deux genres animent cette fable railleuse et joueuse de toute façon. Deux genres assumés, qui s’entrelacent finement pour ne plus se lâcher. Une prouesse notable, d’ailleurs, au vu des nombreuses "comédies sociétales" françaises qui s’embourbent dans la démonstration et la lourdeur, d’ordinaire. Première direction, donc : celle de la comédie de mœurs, interrogeant aussi bien l’amour fou à tout âge que la place que chacun s’attribue dans sa famille, en passant par la jalousie, la déception et autres petites contrariétés fraternelles. Seconde estampille : celle de la critique sociale, déployant sans ambages ses questions sur l’engagement, les sans papiers et autres billevesées (le bien, le mal, qu’est-ce qu’un salaud, qu’est-ce qu’un saint, à quoi mènent les bonnes intentions…?).

Pour la première, on pense parfois à l’univers d’Arnaud Desplechin, les fragilités, les lâchetés et les rancoeurs de ces adultes inachevés étant observées sans concession. Certes moins cruelle, et moins virtuose dans la réalisation, Anne Le Ny propose, de fait, d’ausculter un couple rare dans le "Paysage cinématographique français" : celui d’un frère et d’une sœur. Ceux-là même qui entretiennent des rapports bien évidemment antagonistes avec leur paternel. Heureuse distribution : Karin Viard et Fabrice Luchini possèdent tous deux un don comique évident, qu’ils partagent avec aisance à l’écran. Une belle intelligence de jeu aussi, servis par des dialogues pétillants. Force est de constater que, pourtant, sur la longueur, c’est quand même l’étonnant Luchini, sobre, débarrassé de ses tics de dandy pérorant, qui sidère et séduit le plus dans le registre inhabituel de la douleur. Témoignant, en tout cas, des qualités singulières, donc à nul autre pareil, d’Anne Le Ny en matière de direction d’acteurs…

Pour la seconde – la complexité sociale du réel, qui ébranle, à l’occasion, la force des convictions – difficile de ne pas songer à la "patte " Jaoui-Bacri. Pour sûr, on est loin de l’angélisme (touchant, néanmoins) du "Welcome" de Philipppe Lioret ! Reste que, là encore, Anne Le Ny parvient à écrire sa propre petite musique dans ce concert de "bobos" , quadras et quinquas, agités par la culpabilité. Sa dramaturgie, qui bascule peu à peu vers une gravité souriante, n’a de cesse, par exemple, que d’éclairer les contradictions de chacun de ses personnages. On pourrait presque, même, à force de distance, lui reprocher (un peu) son manque d’empathie. Mais cela prouve, au moins, à quel point son film résiste à toute forme de démagogie. Et de pédagogie. S’inscrivant a priori et en effet dans une tradition française de qualité – outre Desplechin ou Jaoui, on peut aussi évoquer Sautet – son "invitation" est donc beaucoup moins sage qu’elle n’en a l’air. Raison ultime pour l’honorer.

Titre original : Les Invités de mon père

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Durée : 100 mn


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