Un petit garçon aux étranges pouvoirs
Après son travail de scénariste des films de Joachim Trier et son premier film Blind : un rêve éveillé (2014) révélé à Sundance et à la Berlinale, Eskil Vogt revient avec un deuxième long métrage terrifiant. Ici le « vert paradis » cher à Baudelaire marche un peu de guingois et l’on sort de ce film à la lisière du monstrueux pas mal amoché. Le film commence par l’emménagement d’un jeune couple dans un immeuble à la lisière d’une forêt en Norvège. Il paraît que ce genre d’habitation y est monnaie courante. Le couple, tout absorbé par le souci du déménagement, a deux filles, dont la plus âgée est atteinte d’un genre d’autisme régressif qui la rend vulnérable. La mère s’en occupe alors que la petite sœur rechigne à l’accompagner lorsqu’elle part jouer au bas de leur immeuble, jusqu’au jour où elle rencontre d’autres enfants, dont un petit garçon qui semble posséder d’étranges pouvoirs. Le film bascule alors de la description quasi sociologique d’un couple petit-bourgeois sans histoire à celle d’une inquiétante étrangeté qui au fil d’une machinerie bien huilée va crescendo.
La vie secrète des enfants
Il faut dire que le réalisateur possède le don particulier de distiller l’inquiétude et, surtout, d’observer le petit monde des enfants qui n’est pas si tranquille et innocent qu’il n’y paraît. D’où le titre du film qui doit peut-être compris comme une antiphrase. En effet, les enfants, ces futurs adultes, sont-ils finalement aussi innocents que ça ? « Le film vient de ma fascination à observer les enfants, déclare le réalisateur dans le dossier de presse du film, surtout quand ils ignorent qu’on les regarde ; par exemple, quand on vient les chercher à l’école et qu’ils ne nous ont pas encore vus ; ils sont alors très différents de quand ils sont avec nous – ils ont une vie secrète. Je me suis dit que c’était un espace stimulant. » En effet, il a bien su capter cette petite différence en décrivant dans son film un petit groupe de quatre enfants qui vivent à la fois intégrés dans leur famille plus ou moins protectrice et au-dehors lorsqu’ils expérimentent des jeux qui peuvent être dangereux. La qualité primordiale de ce film est de générer une angoisse sourde sans jamais donner les codes d’interprétation du scénario si bien qu’on ne saura jamais exactement de quoi il en retourne, notamment et surtout avec les supposés pouvoirs que le jeune garçon transmet aux autres enfants, et la réceptivité de la jeune autiste au paroxysme de la sensibilité comme le sont souvent ces enfants-là.
Revenir à nos propres souvenirs d’enfance
« On a tendance à se souvenir de l’enfance avec nostalgie, confie encore le réalisateur, comme si c’était une époque toujours heureuse, mais c’est également une époque effrayante où l’on fait face à l’inconnu ; on ignore alors tant de choses tout en ayant une imagination foisonnante. Ces sentiments sont réels, je n’ai jamais eu aussi peur que lorsque j’étais enfant. » Et effectivement le film retranscrit précisément toutes ces sensations de peurs enfantines, allant même jusqu’à casser les codes de l’enfance comme havre de paix et de gentillesse. Puisqu’on le sait depuis Freud, et même avant, que l’enfant est cruel, voire parfois criminel envers les animaux sur lesquels il exprime sa volonté de puissance. Avec ces images d’une grande froideur malgré des couleurs chaudes, dues à Sturla Brandth Grøvlen, le film est aussi inquiétant que ceux de ses prédécesseurs qui ont aussi marqué les esprits, comme l’Esprit de la Ruche de Victor Erice (1973) ou encore Ponette de Jacques Doillon (1996). Ce film dérange, et c’est de volonté délibérée. « Mais ce qui me satisferait le plus, c’est qu’après la projection, les gens parlent de la magie de leur enfance. J’aimerais qu’ils parlent d’eux enfants, de leurs expériences avec les limites du bien et du mal – presque tout le monde a ce type de souvenir. J’aimerais que le film ravive les souvenirs d’enfance enfouis et permette à certains de les vivre à nouveau. »