Le Voyage au Groenland

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Un voyage inattendu dans la glace et le froid pour une comédie familiale bienvenue.

On se demande comment avec un sujet aussi ténu, Sébastien Betbeder est parvenu à faire un film aussi drôle, tendre et quasi expérimental. Deux Thomas, amis très proches, intermittents du spectacle à Paris, s’ennuient et décident de regagner un village reculé du Groenland, Kullorsuaq, où Nathan, le père d’un des deux Thomas, qui sont aussi deux Thomas à la ville, s’est retiré. On arrive au village en hélicoptère, la neige et la glace s’étendent à perte de vue. Les maisons sont en « carton », et on entend tout ce qui s’y passe ; en plus, elles ne possèdent pas de volets, ce qui est peu pratique en raison du jour éternel. D’où insomnies garanties pour nos Parisiens, un peu bobos, un peu paumés. A la demande explicite des habitants, on ne trouve également pas d’alcool dans le village, sauf seulement parfois chez Nathan, mais il ne faut pas le dire. Voilà, le décor de ce très beau film est planté.

 

Des bobos parigots courent sur la glace

Si l’on pose la question à Sébastien Betbeder pour savoir pourquoi être allé aussi loin et dans des conditions extrêmes « à la Koh Lanta », il répond dans le dossier de presse : « Il faut remonter un peu en arrière. Je venais de terminer la post-production de 2 automnes 3 hivers, et Nicolas Dubreuil, le frère de mon producteur, qui est explorateur et vit la moitié de l’année à Kullorsuaq, m’annonce la venue en France de deux de ses amis, Ole et Adam. C’est la première fois qu’ils quittent Kullorsuaq et Nicolas veut garder une trace de ce séjour. Il me propose alors de les filmer. » Cette rencontre donnera naissance à un moyen-métrage, Inupiluk, tourné en dix jours. Mais nous verrons aussi les deux Inuits un peu au début du film, façon de donner un peu de fantaisie à cette rencontre entre bobos blasés Parigots et Inuits qui ont encore toute la beauté de la Terre à découvrir.

Alors pourquoi ne pas imaginer que ces deux inséparables français, un peu clowns, un peu Pierrots lunaires, connaissent à leur tour la situation inverse, à la rencontre du Groenland profond ? Tout le film repose sur ce « couple » de Thomas que Nathan prend au départ pour des homosexuels lorsqu’il se renseigne auprès de son fils, puis sur leurs attitudes, leurs manies, qui en font des personnages à part entière se détachant parfaitement sur le fond immaculé de la neige, qu’ils fassent leur jogging sur la neige comme ils le pratiquaient aux Buttes Chaumont, ou qu’ils décident de chasser l’ours polaire, ou encore quand l’un des deux Thomas tombe amoureux d’une belle Inuit qui le congédiera, non sans un peu de tendresse. Quelques passages sont notamment désopilants, tel celui de l’inscription en ligne, avec un vieux modem d’une connexion Internet qui grince et menace à tout instant de lâcher, à Pôle Emploi le 14 du mois pour faire valider les périodes de travail des intermittents du spectacle. Le folklore social, complètement absurde, d’une France urbaine et branchée, totalement aliénée par l’informatique, devient dans cette séquence complètement incongrue chez les Inuits. Betbeder en fait un moment d’anthologie à mourir de rire, tout comme les séquences où Thomas (Scimeca) imite Ugolin par Daniel Auteuil, ou quand Thomas (Blanchard) raconte que ses parents le forçaient à faire du théâtre alors que son rêve était de devenir assureur, si bien qu’avec un copain ils avaient créé un atelier clandestin d’assurance dans un garage paternel.

 


La glace est brisée

Le film n’est pas que drôle, il est traversé aussi de nombreux sentiments humains comme l’amour ou la peur de la maladie et de la mort, mais aussi du silence de ces grands espaces et de l’utilité de la vie. C’est pourquoi « le voyage aura été initiatique, déclare Sébastien Betbeder, et nous aura, l’équipe et moi-même, bousculé dans nos certitudes. Il y a chez les hommes et les femmes que nous avons côtoyés durant ces cinq semaines, une conception simple et fondamentale des relations humaines, du vivre ensemble, qui place l’amitié très haut. Qui met aussi les enfants au cœur des préoccupations sociales ». Et cet aspect est d’autant plus intéressant que la plupart des protagonistes Inuits du film ne sont pas des acteurs professionnels. Certains jouent même leur propre rôle comme l’inénarrable Martika qui est un véritable chasseur. Beau film, vivant, drôle et revivifiant comme toute cette neige qui régénère, à mettre entre toutes les mains et devant tous les yeux, parce qu’il est important de se rendre compte que le monde est immense et ne se réduit pas seulement à ces quelques hectares parisiens cernés par le boulevard périphérique.

Titre original : Le Voyage au Groenland

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Durée : 108 mn


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