Issu de l’élite de l’armée française, Joss Beaumont est chargé d’exécuter le président du Malawi. Un contre-ordre tombe, la cible est devenue un ami de l’Etat. Pour l’empêcher de nuire, Beaumont est incarcéré, mais ne tarde pas à s’évader, décidé à mener à bien l’opération malgré l’opposition de sa hiérarchie.
Plus que n’importe quel autre de ses films à la même période, Le Professionnel témoigne de la toute puissance de Belmondo sur le cinéma français populaire d’alors. Un sujet explosif, un grand réalisateur aux commandes (Lautner, avec qui il avait déjà fait Flic ou Voyou et Le Guignolo), Ennio Morricone au score et un beau cast de gueules témoignent de l’ambition de l’entreprise. Pourtant, le film témoigne également du déclin imminent de Belmondo en tant que star d’action (ce que confirmeront ses derniers films dans le genre, les piteux Les Morfalous, Joyeuses Pâques ou Hold Up), enfermé dans une formule qui fait tâche quand il s’attaque à un récit un peu plus ambitieux.
Adapté du roman Mort d’une bête à peau fragile de Patrick Alexander, le thème du film s’avérait particulièrement audacieux dans une France encore marquée par le scandale des diamants de Bokassa (le film faisant indirectement référence à l’intervention française pour renverser le dictateur), en dénonçant les activités troubles des services secrets français dans une Afrique pas vraiment émancipée malgré la décolonisation. Avec autant d’atouts, la relative débandade n’en est que plus inexplicable, mais trouve pourtant son explication dans l’évolution de la carrière de Belmondo.
Au départ bien plus passionné par le théâtre, il intègre difficilement le Conservatoire (admis seulement à la troisième tentative) où, malgré un talent évident, on lui fait bien comprendre que son physique hors-norme n’entre pas dans les critères de « jeune premier » souhaités, au point qu’un de ses professeurs lui affirme qu’il ne sera jamais crédible en prenant une femme dans ses bras. La Nouvelle Vague, en quête de figures atypiques, l’accueillera à bras ouvert et lancera sa carrière. Il alternera ainsi avec brio durant les 60’s classiques du cinéma populaire de l’époque (Un Singe en hiver, Cartouche, L’Homme de Rio), films d’auteur exigeants (Pierrot Le Fou, A Bout de Souffle), et collaborations avec grands réalisateurs, dont une fructueuse association avec Jean Pierre Melville.
La rupture se fait au début des années 70 où, passé La Sirène du Mississipi de François Truffaut, le comédien Jean Paul Belmondo cesse d’exister et laisse la place à « Bebel », la star d’action rigolarde et indestructible effectuant elle-même ses cascades. Une décennie dorée pour Belmondo, qui se crée ainsi un personnage mythique (au point de littéralement inspirer un personnage d’animation avec le Cobra de Buichi Terasawa), et enchaîne les gros succès franchement divertissant (dont le génial Le Magnifique) qui auront bercé notre enfance. Cependant, l’absence de l’alternative qui lui aura si bien réussi dans les 60’s (hormis le Stavisky de Alain Resnais) l’enferme dans son personnage et sa formule, et pose ainsi toutes les limites du Professionnel.
Un tel sujet aurait mérité un traitement rigoureux et sans faille, une puissance dramatique de tout les instants (bien intermittente ici), et au final le film regorge de moments embarrassants, essentiellement dus à la volonté de traiter l’histoire à la sauce Bebel : Belmondo se déguisant en clochard pour aller voir sa femme, distribuant les baffes dans un bar ou frayant avec une prostituée de luxe forcément folle de lui au premier regard. On peut également y ajouter la scène d’ouverture de tribunal, avec ses avocats africains aux intonations outrées fleurant bon la vision sans âge de l’Afrique coloniale, l’assistante flic lesbienne et adepte de la torture, ou encore un duel à la Sergio Leone entre Belmondo et Robert Hossein, amusant mais n’ayant strictement rien à faire là. Autant d’éléments présents uniquement pour mettre en valeur la virilité de Belmondo et amener une touche d’humour malvenue, la réalisation de Lautner (qui entamait là une belle décennie de disette) étant dépourvue de son inventivité coutumière, et les dialogues de Michel Audiard faisant rarement mouche.
Cela est d’autant plus regrettable que le film parvient à être réellement captivant quand il ose enfin ressembler à ce qu’il aurait dû être : un drame d’espionnage fort. Belmondo est ainsi formidable d’intériorité et de détermination dans sa vendetta suicidaire, avec de formidables échanges avec le personnage de Michel Beaune notamment. La dernière partie, où il manipule les services secrets pour régler son compte au dictateur africain, puis le destin final, dramatique, de Joss Beaumont (qui traumatisa les jeunes fans de Bebel en son temps), font ainsi largement regretter la direction prise par le film.
Un Belmondo assez symptomatique de la deuxième partie de sa carrière, ne devant au fond sa réputation qu’à son finale