Le Consentement. Sortie DVD chez ESC.

Article écrit par

Né d’une urgence d’écrire, « Le Consentement » est un livre qui ne pouvait ressembler à rien d’autre. Examinons ensemble les questions que pose fatalement la démarche de l’adapter.

Dans Le Consentement, Paris est vide de gueules d’anges, et plein de complices.

« En amour, rien n’est sale, » nous invite douceâtrement à croire la voix sirotée et sinueuse de Jean-Paul Rouve dans Le Consentement, film éprouvant où le comédien rendu célèbre par Canal interprète un écrivain prédateur bourré d’égo et d’un charme fantasque affecté. Et en cinéma, rien n’est trop compliqué pour être tenté. C’est en tout cas ce que semble croire la réalisatrice Vanessa Filho en adaptant pour le grand écran l’autobiographie grinçante et crispante de son homonyme, Vanessa Springora. Celle-ci fut victime d’un artiste pédocriminel pendant toute une partie de son adolescence dans le Paris des années 80. La première difficulté pour donner vie à ce récit au cinéma était la distribution : Seuls deux acteurs français, à notre avis, pouvaient incarner le répugnant Gabriel Matzneff sans que le choix de carrière ne paraisse calculé, trop fatalement taillé à courtiser des louanges critiques pour ce qui aurait été une métamorphose courageuse. Le premier de ces deux acteurs est Rouve. Le second aurait été Podalydès. Ces comédiens très différents ont ceci de commun qu’ils ont une soif intarissable pour le jeu, et qu’en conséquence, ils jouent tout. Nulle métamorphose qui ne porte trop attention à sa propre nature, donc, quand bien même Rouve s’acquitte impeccablement de camper ce littéraire dont on finit par découvrir qu’il est un véritable militant pro-pédophilie. Le plus grand atout de Rouve sera sa voix : trop patinée pour être naturelle, la diction de Matzneff est un piège. Des années d’expérience dans la romantisation et le mensonge ont eu raison de ses irrégularités et de ses bords tranchants, comme un rocher finissant par devenir un galet lisse quand on le laisse gésir dans le lit d’une rivière.

Face à Rouve : Kim Higelin, fille de Ken, petite-fille de Jacques. L’actrice de 23 ans incarne un personnage qui en a 13 quand on la rencontre. Bien entendu, faire jouer à une actrice adolescente ces faits réels innommables aurait été une entreprise risquée et vectrice de problèmes. De fait, cette solution intuitive est le socle d’un réalisme à géométrie variable. Parfois, l’effet est saisissant : la bouche d’Higelin, constamment entrouverte, son front, éternellement plié par l’inquiétude et l’incertitude, ont quelque chose d’une statue faite de marbre et de douleur ; travaillée au surin et à la manipulation. Les traits d’Higelin, qui élève au rang d’art la performance de la tourmente, sont alors un monument d’une jeunesse choquante et complexe à une relation qui n’en est pas une et à un amour qui n’a jamais été grand. À d’autres moments, l’illusion est brisée : quand Vanessa crie sur sa mère (Laetitita Casta), engueulade qui revient graduellement, sa voix est trop éraillée, trop celle d’une adulte. Ou quand elle se voit dans le miroir, frappée par l’intrusion dans ses pensées des victimes Manilènes du tourisme violeur de Matzneff, on sent que ces silhouettes ont bien 8, 10, ou 12 ans, autour d’une Higelin qui en est loin. Les irruptions figuratives du film n’en sont de toute manière pas le point fort : des plans où Vanessa s’imagine Matzneff l’épier, unique spectateur d’une salle de spectacle perverse, sont les seuls où Rouve joue un méchant de fiction plutôt qu’un monstre de notre réalité. Et le plan dans le miroir, ostensiblement supposé nous faire comprendre que Springora reconnait désormais sa tragédie dans celle des autres cibles de Matzneff, échoue à nous faire ressentir une solidarité forgée dans des conditions horribles.

La vraie Springora ressent sans doute énormément de compassion pour les enfants victimisés par l’écrivain aux Philippines. Mais le long-métrage ne parvient pas à le communiquer. On comprend que Vanessa souffre aussi d’une prédation littéraire orchestrée par Matzneff : c’est-à-dire que ce dernier a détourné la vie de cette mineure pour s’en servir comme d’un canevas artistique. C’est aussi ce qu’il a fait subir aux enfants philippins, mais, les laissant dans l’anonymat dans lequel les a plongé Matzneff, le film néglige de nous le rappeler. C’est à travers ce genre de radier qu’on comprend, pour le meilleur et le pire (c’est important de le préciser : Il y a plus du premier que du second), que Le Consentement est bien une adaptation du Consentement, et de rien d’autre : Il est facile d’imaginer un monde alternatif, où d’autres cinéastes auraient mobilisé une fibre journalistique pour peindre un portrait intense et extensif de Matzneff, violeur encensé et ignoblement récidiviste. Ce n’est pas ce à quoi Filho s’essaie ici, mais, et c’est à son honneur de le faire, elle le précise dès le carton d’introduction du long-métrage, le texte d’ouverture la moins équivoque qu’on aura vu cette année.

L’autorité légitimée, sabrée de l’auteur. La zététique du culturel du viol.

Ariane Limeul, dans son mémoire sur l’écriture du viol en France : « La littérature peut donc être considérée comme un lieu approprié pour faire valoir son statut de victime, et même accéder à une forme de réparation. Springora développe largement sur le fait qu’elle veut retourner contre lui l’habitude qu’a Matzneff d’écrire sur les jeunes filles avec qui il a des relations. Elle choisit de réutiliser le même procédé que lui, mais en prenant le contre-pied de ses textes où il la décrit comme une amoureuse transie. Elle utilise un vocabulaire lié à la traque et à l’enfermement ». N’adaptant que Le Consentement, la version de Filho l’adapte-t-elle trop bien ? Ou, du moins, l’adapte-t-elle trop fidèlement dans la recherche vaine d’un sentiment qui ne peut-être produit que par la littérature ? Si l’ouvrage de Springora a la force d’avoir été écrit par et « pour » (on entend : pour d’autres victimes potentielles ; pour d’autres enfants qu’on a pas crus), l’adaptation filmée pourrait être accusée de s’adresser à des spectateurs non-concernés. L’ayant vu en salles lors de sa sortie, nous avons pu entendre des « Putains… », des « Mon dieu… » et autres, chuchotés ou pas, dans le public autour de nous. Le Consentement serait-il alors un test de Gom Jabbar, une boîte remplie de douleur dans laquelle on peut glisser la main tout en se sachant protégés de tout danger physique et moral immédiat ? Dans certaines scènes, c’est l’impression qu’il donne. Les « premières fois » entre Vanessa et Matzneff sont filmées avec une distance, une neutralité radicale. La charte visuelle est celle du documentaire médical, voire animalier, avec ces plans sur des jambes qui tremblent, des doigts ridés et roses qu’on a pas essayé de maquiller ou d’étalonner autrement. La confrontation entre prédateur et proie est glaçante car ramenée à sa dimension la plus biologique (pipi post-coïtal compris).

On se sent nauséeux. C’est nécessaire. On se sent observé par les autres spectateurs, qui montrent qu’ils sont nauséeux. C’est moins nécessaire ! Dans le dialogue donné à Matzneff, une partie des répliques semble être destinée à provoquer ce genre de réactions. Pour notre part, on considère que cela revient à mettre un chapeau sur un chapeau : On nous montre déjà un pédophile faire des choses immondes, est-ce bien percutant de le montrer dire des choses immondes ?

La sortie en DVD du film chez ESC est salutaire, elle nous permettra de mieux envisager les moments de bravoure du film, et de porter un regard plus curieux sur ses qualités les moins démonstratives. Parmi celles-ci, on pense à des scènes où Vanessa passe du temps avec des ados de son âge ou un peu plus vieux, sublimes d’une normalité qu’on a désespérément envie de voir triompher de Matzneff. On pense aussi à la courte apparition d’Élodie Bouchez en Vanessa adulte : Si elle n’a pas leur aura glamour, Bouchez a un faciès aussi évocateur que ceux d’Anouck Aimée et de Romy Schneider. Elle mérite autant qu’elles d’être le visage de la France au cinéma.

En bonus sur le Blu-Ray : Une séquence de ~20 minutes, qui nous renseigne sur le processus de l’actrice en montrant les coulisses d’une scène de détresse. 

Réalisateur :

Acteurs : , , , , ,

Année :

Genre : ,

Pays :

Durée : 118 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi